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l’attacherait désormais à son nom comme un titre. Saisi d’un enthousiasme infernal, il bondit sur lui-même et s’écria : « L’étoile tombe, la terre tremble, je suis le maillet qui frappe sur le monde! » Ici nous voguons à pleine voile dans le mythe : voyons où nous allons aborder.

Dans un récit historique sur Attila, j’ai raconté son entrevue avec saint Loup, telle que nous la donnent les actes originaux écrits, à ce qu’on suppose, par un disciple de l’évêque de Troyes. Elle se passe d’une façon toute simple et tout-à-fait probable. Attila, qui se retire précipitamment d’Orléans sur Châlons, suivi de près par Aëtius, franchit la Seine au-dessus de Troyes. Ruinée par les invasions précédentes, cette grande cité n’avait plus ni garnison ni murailles qui pussent arrêter un seul instant les Huns : saint Loup va trouver le roi, qui consent à épargner la ville, mais qui garde l’évêque en otage. Cependant les habitans, médiocrement rassurés, se dispersent dans les bois, et quand saint Loup revient de son voyage forcé, il trouve sa métropole déserte. Voilà le fait dans sa vraisemblance historique, voici maintenant comment on le racontait quatre siècles plus tard.

C’est bien loin du monde réel et dans des sphères fantastiques que la tradition nous emporte : Troyes a retrouvé des murailles et une garnison que l’évêque commande; le saint fait le guet au-dessus de la porte, et bientôt arrive Attila à la tête d’une armée innombrable. Quoique battu à Châlons (il a fallu mettre le siège de Troyes après cette bataille, pour faire concorder le récit légendaire avec la tradition de l’ermite), le roi des Huns parcourt la Gaule sans obstacle, tuant et détruisant tout comme il lui plaît. Il est fier, insolent, et fait sonner bien haut le titre qu’il vient d’ajouter à tous ses titres, celui de fléau de Dieu. Monté sur son cheval de guerre, il s’approche d’une des portes, frappe avec colère et ordonne impérieusement qu’on lui ouvre. L’évêque, du haut de la muraille, lui demande qui il est : « Qui es-tu, lui dit-il, toi qui disperses les peuples comme la paille et brises les couronnes sous le sabot de ton cheval? » — « Je suis, répond celui-ci, Attila fléau de Dieu. » — « Oh! s’écrie l’évêque, sois le bienvenu, fléau du Dieu dont je suis le serviteur! ce n’est pas moi qui l’arrêterai; » et, descendant avec son clergé, il ouvre lui-même la porte à deux battans, saisit par la bride le cheval du roi des Huns, et, l’introduisant dans la ville : « Entre, dit-il, fléau de mon Dieu; marche où te pousse le vent des célestes colères! » Attila entre, et son armée le suit. Ils parcourent les rues, ils traversent les places et les carrefours, ils passent devant les églises et les palais, sous les yeux d’une foule à la fois épouvantée et surprise; ils marchent, mais ils ne voient rien. Un nuage s’est appesanti sur leurs yeux; ils sont aveugles et ne recouvrent la vue qu’au moment où Attila sort de Troyes par la porte opposée. Dans une des variantes de cette légende, car elle en a beaucoup,