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Il est curieux de chercher au fond des traditions la cause secrète qui a pu les faire dévier contre toute raison apparente. Ici, par une sorte de logique grossière, la légende mettait sur le compte du roi des Huns, comme sa dévolution naturelle, les grandes ruines ou les attentats impossibles; une autre fois, le désir de glorifier quelque saint personnage lui fera supposer, de la part du conquérant, des marches, des combats, des sièges qui n’ont point eu lieu et qui sont en contradiction flagrante avec l’histoire. Tel est le siège de Paris en 451, imaginé dans la pensée d’opposer sainte Geneviève et Attila, la bergère inspirée et l’homme qui faisait trembler le monde; jamais cette sainte et courageuse fille ne fut bergère, et son action dans la guerre de 451 se borna à empêcher les Parisiens de déserter leur ville par crainte de l’ennemi. Les fausses étymologies ont aussi une grande part à la création des fausses traditions : j’en citerais au besoin plus d’une en ce qui nous concerne. Je préfère montrer comment une ressemblance de nom, exploitée par la vanité locale, peut enfanter toute une histoire traditionnelle où les erreurs historiques s’accumulent de la façon la plus incroyable pour appuyer une erreur de géographie. Les détails donnés par Jornandès sur le lieu où fut livrée la grande bataille des champs catalauniques ne permettaient pas de douter que ce lieu ne fût situé dans la province de Champagne aux environs de Châlons-sur-Marne, et la tradition des villes champenoises concordait en cela avec l’histoire. Toulouse n’en revendiqua pas moins l’honneur de cette bataille à cause de la plaine de Catalens, située dans son voisinage. Or, pour qu’Attila pût arriver près de Toulouse, il fallait qu’il eût traversé la Gaule dans toute sa longueur, et que, pour assurer sa retraite, au besoin il eût pris et démantelé Lyon, Arles, Narbonne, etc.... Eh bien! la tradition n’a pas reculé devant les détails de cette campagne imaginaire; mais, une fois Attila vaincu à Catalens et obligé de faire retraite, que deviennent les débris de cette armée de cinq cent mille hommes? La tradition n’en est pas embarrassée; elle les envoie en Espagne chasser les Maures. Elle raconte qu’Attila détacha, pour cette œuvre pie, trois de ses capitaines qui, entrés en Galice, attaquèrent le sultan Mirmamon et le forcèrent à fuir par-delà le détroit de Gibraltar. Voici Attila transformé en champion de la chrétienté, en précurseur de Charles-Martel et du Cid; encore n’est-ce pas le rôle le plus inattendu que l’imagination populaire lui réserve.

Qui croirait par exemple que plusieurs villes de Gaule et d’Italie prétendirent à l’honneur d’avoir été fondées ou du moins agrandies et embellies par l’exterminateur, le destructeur universel? Trêves eut cette fantaisie. L’antique et superbe métropole de la Gaule romaine, oubliant au moyen-âge de qui lui venait sa splendeur, la rapportait au roi des Huns. Ainsi ce joli monument romain qu’on admire encore aujourd’hui dans le bourg d’Igel, à un mille de Trêves, s’appelait au