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I. — TRADITIONS DES RACES LATINES.

Reportons-nous à l’année 453, cette année de délivrance où le roi des Huns fut enlevé, comme par un coup du ciel, aux terreurs des Romains : l’Italie et la Gaule respirèrent. Ainsi qu’il arrive après toutes les grandes catastrophes, on se mit à récapituler ses maux, à faire l’inventaire de ses frayeurs. Comme tout le monde avait tremblé, tout le monde prétendit avoir eu raison de trembler, et ce fut à qui raconterait pour son compte, ou la ruine la plus lamentable, ou la préservation la plus miraculeuse. Ce sentiment fut universel en Occident. Les villes importantes se firent une sorte de point d’honneur d’avoir été les unes prises, les autres assiégées, toutes menacées : il en fut de même des provinces. On voulait avoir vu de près le terrible ennemi, avoir fourni quelques péripéties au drame sanglant qui conserva long-temps le privilège d’intéresser et d’émouvoir. Involontairement on exagéra le mal qui s’était fait, on supposa celui qui aurait pu se faire; on donna un corps à ses craintes, à ses illusions et à sa vanité. C’est ce qui explique la masse énorme de traditions locales sur Attila, traditions évidemment très anciennes, et pourtant inconciliables avec l’histoire. S’il fallait prendre à la lettre les légendes et les chroniques des VIIe, VIIIe et IXe siècles, Attila n’aurait rien laissé debout en Gaule ni en Italie, et souvent la formule employée ne permet là-dessus aucune exception. Ainsi l’auteur de la seconde légende de saint Loup, écrite à la fin du VIIIe siècle, nous dit en propres termes qu’il ne resta en Gaule, après le passage des Huns, ni une cité ouverte, ni une ville fermée, ni un seul château-fort. Dans l’opinion du moyen-âge, toute ruine appartint de droit à Attila, de même que toute construction antique à Jules César. César et Attila furent pour nos pères deux types corrélatifs, l’un des conquêtes fécondes et civilisatrices, l’autre de la guerre stérile et d’extermination.

Ruines, massacres, persécution des saints, voilà donc le cortège officiel du roi des Huns, ce qui le caractérise par-dessus tout dans la mémoire des races latines. On le suppose si riche par lui-même d’horreurs et de ravages, qu’on lui en prête encore sans crainte ni scrupule. Un chroniqueur balance-t-il sur l’époque de la destruction d’une ville, un hagiographe sur la date d’un martyre, — ils choisissent celles de l’invasion des Huns; le sens commun répugne-t-il à admettre quelque attentat d’une énormité fabuleuse, on le rend croyable en prononçant le nom d’Attila. C’est ainsi que les légendaires du moyen-âge lui ont définitivement attribué le massacre de sainte Ursule et des onze mille vierges, malgré la difficulté de faire martyriser à Cologne, en 451, de jeunes vierges parties de Bretagne en 383; mais de telles difficultés n’arrêtent jamais la légende.