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photographie, l’éthérisation, les théories agricoles et tant d’autres honneurs de la civilisation moderne, ont estimé à sa valeur ce qu’ils jetaient au peuple, lequel les en a convenablement remerciés. Adoptons donc la belle maxime de Pline : « pour l’homme, c’est être Dieu que d’être utile à l’homme ! »

Mais, dira-t-on, à quoi peut servir la connaissance des lois des mouvemens du flot dans les rivières à marées ? Demandez-le aux constructeurs des grands travaux qui, sur les rivières d’Écosse et dans la Tamise même, ont obtenu que les bâtimens du commerce franchissent d’une seule marée le chemin qu’ils mettaient autrefois deux ou trois jours à parcourir. Demandez-le aux travaux qui se font aujourd’hui dans les parages ravagés jusqu’à ce jour par la barre de la Seine, coulant bas les navires et détruisant les prairies elles-mêmes avec une force irrésistible. M. Arago, consulté officieusement par un de nos ingénieurs sur ces travaux, lui disait : « Dans le Gange, à ses nombreuses embouchures, on a observé que les vaisseaux à flot dans une eau profonde ne souffrent point du mascaret, qui renverse les bâtimens échoués ou stationnés dans une eau peu profonde. Tâchez donc de donner de la profondeur au lit de la Seine. » C’est ce qu’on a fait en rétrécissant le lit du fleuve au-dessus de Quillebœuf, et le succès paraît devoir couronner ces utiles tentatives. Tous ceux qui, en descendant la Seine, ont vu, à plusieurs kilomètres dans les vastes et riches prairies du nord et du sud, les mâts encore subsistans des navires qui s’y sont perdus autrefois, quand le courant y passait, ou ceux qui ont navigué à la vapeur dans les localités mêmes que peu d’années auparavant ils avaient parcourues à cheval, au milieu des cultures les plus productives et de milliers de têtes d’élèves de bestiaux de toute espèce, sentiront la haute importance de ces applications de la science des mouvemens extraordinaires de la mer.

Pour quitter, en finissant, le domaine des intérêts matériels et revenir à la contemplation de la nature, qui n’a point observé sur le rivage de la mer cet interminable brisement des vagues qui viennent sans cesse à la côte et reculent ensuite, après s’être étalées sur le sable et les cailloux de la grève ? Dans leur variété d’aspect, elles ont toutes cependant une analogie de forme qui exclut l’idée de hasard et annonce une loi. Cette loi qui modèle une humble vague qui brise est exactement la même que celle qui produit la redoutable barre de flot. La petite vague plate qui aborde le rivage éprouve les effets de la moindre profondeur : sa tête retardée est gagnée de vitesse par sa partie postérieure ; de là le renflement de la tête, son roulement sur elle-même avec ou sans panache d’écume, et enfin son étalement sur la pente peu inclinée du rivage. C’est encore un des tableaux tracés fidèlement par Homère. Il décrit, en plusieurs endroits, les vagues arrivant à la terre, se gonflant et s’arrondissant ensuite, puis s’empanachant d’écume, et enfin rejetant cette écume sur la grève, qu’elles baignent en rejetant aussi les herbes marines et les corps étrangers. Ici, comme partout ailleurs, nous retrouvons le type habituel de la nature, qui produit un grand nombre d’effets avec un petit nombre de causes.


Babinet, de l’Institut.

V. de Mars.