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serait original chez quelques-uns n’est plus que du lieu commun, de la banalité par excellence, en devenant le mot de ralliement de toute une cohorte de jeunes écrivains, tous de même famille, bien qu’ils se classent sous les dénominations distinctes en apparence de romanciers réalistes, de poètes naturalistes et de touristes de la fantaisie. Véritable bohème militante, comme les Villon, les Jodelle, les Garnier, les Mellin de Saint-Gelais, ils croient conquérir l’avenir; ils ne songent pas que maintenant l’idiome est formé, arrêté, qu’on peut essayer tout au plus de le rajeunir par les idées, qu’il est imprudent de le renouveler par une invasion de mots et d’images, et que ces tentatives sont le signal de la décadence des langues et des littératures. D’ailleurs, bien différens de leurs aïeux de la renaissance, l’érudition dont ils font parade ne s’étend jamais au-delà du costume et de l’ameublement; puis, comme ils n’ont point pénétré, à l’exemple des contemporains de Ronsard, dans l’ame, dans l’intimité des vieux modèles de la Grèce, ils ne savent point choisir les innovations de style qui se prêtent le plus volontiers aux exigences du dialecte français, et qui ne heurtent pas trop les préjugés de notre philologie nationale. Ils peignent à tout prix, et, dans leurs productions hâtives, les plus futiles objets, sous prétexte de réalisme, occupent le premier plan du tableau, quand par hasard ils ne sont point le tableau tout entier. Cette confusion de deux arts, poésie et peinture, engendre, dans la prose surtout, une monotonie que rompent difficilement leurs facéties apprêtées. La poésie en effet n’est pas précisément la peinture : l’une est immobile et vit par les yeux, l’autre veut l’action et vit par les sentimens; mais l’étude des sentimens, cette science profonde qui fait les Pascal, les Vauvenargues, les La Bruyère et je dirai même les Diderot, est de plus difficile acquisition qu’un simple vernis de couleur locale et d’esprit prétentieux. Aussi les sentimens sont-ils complètement bannis, — ou sont-ils, — ce qui est pire encore, — transformés en instincts brutaux. M. Gautier décrit avec complaisance les intérieurs opulens, les meubles rococo, les splendeurs du luxe; ses disciples, moins dégoûtés, se font les historiens de la mansarde, non de la mansarde gracieuse à laquelle sourit un rayon de soleil, mais de la mansarde fétide des ignobles faubourgs, et, dans leur furia de tons chauds et crus, ils ne nous font grâce d’aucune des repoussantes perspectives de la misère et de la honte.

C’est une chose reçue et je l’accepte comme telle : le genre descriptif de l’empire était fastidieux et de toute fausseté; mais encore admettait-il l’homme à titre de détail, pour marquer les plans et accuser les perspectives. L’école fantaisiste le supprime tout-à-fait, et pour elle l’homme est de trop presque partout. La raison, c’est qu’il est donné à fort peu de personnes de le connaître et qu’elle l’ignore complètement. Jean-Jacques ne rétrogradait qu’à l’état sauvage, nos jeunes novateurs remontent au cinquième jour de la Genèse; c’est même de leur part quelque peu de modération, et à leur amour du féroce, du truculent, des touches heurtées, des tas de couleurs jetées au hasard, je les soupçonne fort de regretter le chaos.

Somme toute, cette littérature qui s’appelle jeune et qui exhume les formes usées, qui veut rire et qui n’a pas de gaieté, ne réussit qu’à une chose, à être burlesque. Elle est burlesque dans le rire, burlesque dans la mélancolie. Le public, surpris au premier abord, a quelque temps applaudi à ces tentatives