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rien des peintres qui l’ont suivi : les Novelli, les Ridolfi, les Piazetta, troisième dynastie chez laquelle resplendit quelquefois comme un éclair le reflet de la grande manière de Giorgione, de Véronèse et de Palma. Jean-Baptiste Tiepolo, par la fécondité de son génie et la prestesse de l’exécution, ne semble-t-il pas un second Tintoret? Et, dans le XVIIIe siècle, tout près de nous, la Rosalba n’emplissait-elle pas l’Europe de sa renommée, mettant au service de la peinture au pastel, comme un legs des maîtres ses aïeux, une vigueur merveilleuse, une grâce inimitable? Quoi qu’il en soit de ces lacunes, les chapitres d’Italia consacrés à l’art vénitien n’en sont pas moins la meilleure partie du livre.

Dans Émaux et Camées, M. Gautier n’a guère fait qu’appliquer les principes de poétique que lui-même a mainte fois développés : « L’art, a-t-il écrit, c’est l’invention perpétuelle du détail, le choix des mots, le soin exquis de l’exécution ; » et ailleurs : « Le vers est une matière étincelante et dure comme le marbre de Carrare, qui n’admet que des lignes pures et correctes et long-temps méditées. » Le poète s’est astreint, dans le petit volume que nous avons sous les yeux, aux deux règles que le critique avait posées. La rime est riche, le vers plein et métallique, la couleur abondante, la facture irréprochable à peu d’exceptions près; mais ce qui prouve surabondamment que la seule perfection de la forme ne suffit point à révéler aux âmes l’idée du beau, c’est qu’en dépit des qualités d’exécution qui recommandent la poésie d’Émaux et Camées, elle est impuissante à trouver le chemin du cœur; elle resplendit sans chaleur, elle étonne et n’émeut pas; elle est sèche comme le silex dont elle a la dureté. Sans doute « la moralité de l’art ne consiste pas en sentences religieuses ou sociales; » mais parce que, malheureusement pour la morale qui méritait mieux, Pibrac l’a mise en quatrains, s’ensuit-il qu’on la doive soigneusement proscrire de toute œuvre littéraire? s’ensuit-il que le sentiment humain doive toujours aller s’amoindrissant jusqu’à disparaître sous le reflet de la pompe extérieure? s’ensuit-il enfin que le caractère de la poésie ne soit plus d’ouvrir à la pensée des horizons infinis?

La poésie de M. Théophile Gautier et de son école est toute naturaliste, elle ne professe que le culte des choses de la création, elle ne remonte point du monde visible à Dieu, elle n’essaie même pas, à l’exemple de l’antiquité, d’incarner Dieu dans la forme : elle divinise la forme pour elle seule et met la ceinture de Vénus à la taille d’Hélène. Les tendances panthéistes qu’elle manifeste ne sont, après tout, qu’une prédilection pour les splendeurs de la réalité matérielle; aussi, malgré le titre, — Affinités secrètes, — de la première pièce, Schelling et Spinoza n’ont-ils rien à démêler avec Émaux et Camées. L’auteur est simplement païen à la façon de M. Pradier, par le côté sensuel. Il ignore la sérénité chaste et splendide de l’art antique, qui, dans les plus voluptueuses descriptions, spiritualisait en quelque sorte la chair. Qu’Homère nous peigne Vénus amoureuse d’Anchise, ce ne sera point seulement par le côté plastique de sa beauté qu’elle séduira le berger, ce sera bien plutôt par la modestie qui rayonne autour d’elle comme d’un nimbe céleste : « Conduisez-moi vierge et sans avoir goûté l’amour — auprès de votre mère prudente, afin qu’elle voie si je suis destinée à faire une digne épouse; » et quand Anchise, éperdu d’amour, saisit la main de la déesse : « Vénus au doux sourire