A la suite des écrivains qui fondent ou prétendent fonder les écoles, on rencontre, à toutes les époques de l’histoire littéraire, d’aventureux disciples dont le privilège semble être de discréditer, en les outrant, les systèmes qu’ils préconisent et de les ridiculiser avec d’autant plus de succès qu’ils s’en déclarent de bonne foi les champions exclusifs. Ces hommes ont reçu de la nature un génie facile à prendre l’empreinte d’une manière, d’un faire artificiel, un esprit prompt à saisir au vol des idées éphémères qu’ils relèvent à l’aide d’une phraséologie miroitante; raffinés sur toute chose, spirituels par procédé, matérialistes de l’art par habitude de ne travailler que sur des pensées ou vulgaires ou paradoxales et qui ne vivent que par la forme, chez eux le jugement se fausse à mesure que l’esprit s’aiguise. En formulant son aphorisme : « Le style, c’est l’homme, » Buffon ajoutait : « Les idées ne vivent que par la manière dont elles sont exprimées, » et par ce correctif il reconnaît la souveraineté des idées. Les écrivains à qui nous faisons allusion, oubliant le correctif de Buffon, paraissent avoir pris pour devise : Le style, c’est tout ; car, pour eux, l’idée n’est rien, ou plutôt la valeur négative qu’ils lui attribuent est en raison de la bizarrerie qui la caractérise. Aussi leur verve n’a-t-elle à s’épuiser que dans les mille détails de la forme. Ils y gagnent de paraître, au rebours des autres, s’enfoncer à reculons dans la jeunesse à mesure que viennent les années; on ne vieillit guère en effet que par les idées et non par la manière de les exprimer, les ciselures de la phrase étant des moyens plastiques dont l’emploi devient de jour en jour plus familier à l’artiste. Ils restent donc jeunes, en apparence du moins; mais dans cette jeunesse prolongée, au sein de cette orgie étourdissante de mots et d’images qui ne réussit point à dissimuler l’absence de foi, de cœur et d’invention, on surprend je ne sais quoi d’aussi profondément douloureux que dans une vieillesse anticipée : il y a des éclats