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Sa réputation déjà grande ayant franchi les limites de l’Italie, Faustina fut engagée au théâtre de Vienne pour la somme de 15,000 florins par an. C’est à la fin de l’année 1724 qu’elle parut à la cour de l’empereur Charles VI, le père de Marie-Thérèse, le compétiteur de Louis XIV à la succession d’Espagne et le plus grand mélomane de l’Europe. Non-seulement Charles VI aimait beaucoup la musique, mais il touchait fort bien du clavecin et composait lui-même des opéras qu’il faisait exécuter par les membres de sa propre famille et par les plus grands personnages de sa cour. A la naissance de l’un de ses enfans, il fit représenter un drame lyrique de sa composition, dont les paroles étaient du poète vénitien Apostolo Zeno, qui en parle dans sa correspondance. L’empereur tenait le clavecin, l’orchestre était composé des premiers dignitaires de la monarchie, et l’archiduchesse Marie-Thérèse dansait et chantait sur la scène avec d’autres princes de la famille impériale. Charles VI avait pour maître de chapelle le vieux Eux, froid compositeur, mais savant contre-pointiste, dont le livre fameux, Gradus ad Parnassum, a fait l’éducation de tous les musiciens allemands de la première moitié du XVIIIe siècle. Un jour que l’empereur accompagnait à livre ouvert et sans se tromper un opéra de Fux, celui-ci, étonné de tant d’habileté, lui dit avec admiration : « Quel dommage que votre majesté ne soit pas un maître de chapelle! — Merci de votre souhait, mon cher Fux, mais je suis assez content de mon sort, » lui répondit en riant le dilettante couronné.

La cour de l’empereur Charles VI était remplie de musiciens et de virtuoses qui lui coûtaient des sommes immenses. La Faustina y fut accueillie avec distinction, et mérita bientôt les applaudissemens des connaisseurs les plus difficiles. Tous les grands seigneurs voulurent l’entendre et lui témoigner à l’envi leur admiration. Un soir qu’elle chantait chez le prince de Lichtenstein devant une nombreuse assemblée, le maître de la maison s’approcha de la belle cantatrice et lui remit une bourse contenant cent ruspi d’or de Hongrie comme témoignage de sa haute satisfaction. L’ambassadeur de France, qui était alors le duc de Richelieu, lui fit un cadeau plus considérable encore. Il paraît cependant qu’une légère opposition s’éleva contre un si magnifique talent. L’esprit germanique, qui n’a jamais eu à Vienne beaucoup de consistance, trouva quelques représentans courroucés de voir ces belles sirènes du pays de l’aurore, toutes pétries de volupté, venir accaparer les faveurs de la cour et susciter dans le cœur de la jeunesse de coupables désirs. La Faustina laissa dire ces philosophes moroses, et d’un coup de gosier elle dissipa bientôt les nuages dont on essayait d’obscurcir sa gloire et de tempérer sa toute-puissance. Elle était depuis deux ans à la cour d’Autriche, lorsque Haendel, qui voyageait pour chercher des chanteurs qui pussent le seconder dans sa