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C’est en 1724 que Hasse quitta sa patrie pour aller dans le beau pays de la lumière et de la mélodie, le rêve d’or de tous les poètes, de tous les artistes allemands, la terre de promission où ils aspirent dès l’enfance. Il arriva à Naples et se mit d’abord sous la discipline de Porpora, dont le caractère et les conseils n’eurent point de prise sur son esprit. Comme Hasse était un très habile claveciniste pour son temps, il était fort recherché par la belle société, où il eut occasion de se faire entendre du vieux Alexandre Scarlati, qui le prit en amitié et lui voua une affection toute paternelle. Quarante-cinq ans plus tard, en 1769, le jeune Mozart touchera aussi du clavecin dans un conservatoire de Naples, devant un grand maître de cette école féconde, Jomelli, dont il excitera l’admiration. Aidé des conseils et de la protection de Scarlatti, Hasse eut le bonheur de rencontrer un riche marchand qui lui demanda une sérénade à deux voix pour une fête de famille, sérénade qui fut ensuite chantée en public par le célèbre Farinelli et la Tosi, cantatrice éminente. Le succès de cette première production fut si grand à Naples, que le jeune et caro Sassone, comme l’appelaient déjà les belles dames, reçut l’ordre de composer pour le grand théâtre royal un opéra, Sésostrate, qui fut représenté dans le mois de mai 1726, et dont le succès répandit le nom du jeune maître dans toute l’Italie.

En 1727, Hasse se rendit à Venise, où l’appelaient son bon génie et l’éclat dont jouissait alors cette ville unique dans les annales du monde. Il avait vingt-huit ans, il était dans la force de l’âge et dans ce premier épanouissement de la célébrité qui accroît à l’infini les illusions de la jeunesse. Hasse fut accueilli avec une grande distinction par la haute aristocratie vénitienne, qui l’admit dans ses palais et dans ses casini. Applaudi au théâtre, applaudi à l’église et recherché dans le monde dont il charmait les loisirs par sa belle voix de ténor et son talent sur le clavecin, Hasse fut bientôt le maestro à la mode que les dames couronnaient de fleurs, que les petits abbés di qualità poursuivaient de leurs sonnets, et que les gondoliers accompagnaient de leurs bruyantes acclamations : E viva il caro Sassone ! Il fut nommé professeur à l’une des quatre scuole de Venise, celle degl’ Incurabili, pour laquelle il composa un Miserere à quatre voix avec accompagnement d’instrumens à cordes, morceau resté célèbre, et dont le père Martini, qui s’y connaissait, a fait le plus grand éloge. Après un court voyage à Naples en 1728, où Hasse se rendit pour y faire représenter un nouvel opéra, Attalo, re de Betinia, qui confirma ses premiers succès, il revint à Venise, où devait s’accomplir un des plus grands événemens de sa vie.

Il y avait alors dans cette ville d’enchantemens une femme jeune, belle, d’un esprit magique, une de ces reines de l’art et de la fantaisie comme l’Italie seule en sait produire. Née à Venise, d’une famille honorable, on ne sait trop quel jour ni dans quel mois de la première