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du peuple allemand avec la grâce, la lumière et la précision des Italiens. Qui ne connaît les rapports nombreux qui existent entre l’école flamande et l’école vénitienne? N’est-ce pas à Venise qu’Antonello de Messine est venu divulguer le secret de la peinture à l’huile que lui avait communiqué Jean de Bruges? et ne sait-on pas que le plus grand peintre de l’Allemagne, Albert Durer, a trouvé à Venise une hospitalité généreuse, et dans Jean Belin un protecteur et un ami? Dans l’histoire de la musique, la relation des deux écoles est encore plus féconde en résultats curieux. C’est un Belge, par exemple, Adrien Willaert, qui, nommé organiste de la chapelle ducale de Saint-Marc en 1527, y a posé les bases d’un enseignement scientifique de la composition, et c’est un élève de l’école de Venise, Henri Schütz, qui fut le premier directeur de la chapelle de l’électeur de Saxe George Ier, dont il organisa la musique; c’est lui aussi qui a fait représenter à Dresde le premier opéra qu’on y ait entendu, la Daphné de Rinuccini, traduite en allemand par le poète Opitz et que Schütz mit en musique en 1627, pour célébrer le mariage de la sœur de l’électeur de Saxe avec le landgrave de Hesse.

Non-seulement les opéras et les virtuoses italiens régnèrent sur tous les théâtres princiers de l’Allemagne depuis le commencement du XVIIe jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, mais la musique même du culte protestant a subi l’influence du goût ultramontain, qui était alors le goût prépondérant dans toute l’Europe. Luther, en se séparant de l’unité catholique, avait conservé dans son église les plus belles mélodies du plain-chant grégorien, qu’il fit arranger en choral à trois et quatre parties d’une harmonie très simple. Le choral, expression contenue et pieuse des sentimens de tous les fidèles réunis, était la seule forme musicale admise par le culte protestant, lorsqu’un groupe de compositeurs, qui tenaient à l’école vénitienne par une tradition directe, introduisirent dans l’église réformée du nord de l’Allemagne les monodies, c’est-à-dire les airs, les récitatifs et toutes les fantaisies vocales du style dramatique que Monteverde venait d’inaugurer à Venise. Les musiciens hardis qui opérèrent cette révolution dont l’histoire a gardé le souvenir sont Jean Eccard, élève d’Orland de Lassus; Stobäeus, élève de Jean Eccard; Henri Albert, Michel Praetorius et Henri Schütz, que nous avons déjà nommé, tous grands admirateurs du génie italien et surtout de l’école de Venise, dont ils étaient pour ainsi dire les disciples. Cette influence de l’Italie sur le génie allemand, cette attraction puissante et sympathique que Venise a exercée pendant si long-temps sur les plus illustres compositeurs du pays de Gluck et de Mozart, se révèle d’une manière toute charmante dans l’alliance longue et prospère du compositeur Hasse avec la Faustina.

Qui n’a entendu prononcer ces deux noms, qui ont été dans toutes les bouches pendant la première moitié du XVIIIe siècle, et qui ont