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Assurément il y a des degrés dans les fautes, et toutes les rigueurs de l’opinion ne sont pas également justes. « Que celui qui vaut mieux que cette femme lui jette la première pierre! » a dit le Sauveur il y a deux mille ans. Ces mots sont comme l’épigraphe du drame de M. Hebbel, et ce n’est pas sans dessein que l’héroïne a pour Marie-Madeleine. Quelle prétention pourtant que d’interpréter sur le théâtre le miséricordieux langage de Jésus ! avec quel tremblement on doit toucher à de telles choses! comme on doit craindre de placer une morale suspecte sous la protection de la parole divine! M. Hebbel n’a pas voulu seulement appeler la pitié sur certaines fautes; il a voulu faire une œuvre tragique, et pour cela il a imaginé une situation où l’héroïne péchât nécessairement, où elle fût forcée de transgresser la loi, comme l’Oreste d’Eschyle ou l’Hamlet de Shakspeare. M. Hebbel établit très bien, dans une préface naïvement ambitieuse, que la tragédie bourgeoise s’est décréditée en Allemagne par sa vulgarité; on ne la relèvera que par l’emploi des situations tragiques, et la situation tragique par excellence est celle où le personnage est nécessairement obligé de faire le mal dont il sera puni. Or s’imagine-t-il vraiment avoir résolu le problème? C’est là que s’écroule le fastueux échafaudage de ses théories. De deux choses l’une : ou bien Marie-Madeleine n’était pas absolument forcée de commettre la faute qui produit la catastrophe, et alors la pièce n’est pas tragique; ou bien ce grand élément dramatique, la nécessité, domine toute la pièce; Marie-Madeleine n’était pas libre de sauver son honneur, et, dans ce cas, l’ouvrage n’échappe pas aux reproches d’immoralité que tant de critiques lui ont adressés en Allemagne.

Marie-Madeleine est la seule production du poète pendant son séjour à Paris. La France ne devait pas être le terme de son voyage; M. Hebbel partit pour l’Italie, étudia longuement Rome et Naples, qui lui offraient encore, dans un autre sens et avec d’autres proportions que Paris, un curieux tableau de la vie humaine, écrivit comme Goethe un recueil lyrique composé surtout d’épigrammes et de sentences lapidaires, puis retourna vers l’Allemagne en 1846 et s’installa à Vienne. C’était le hasard qui l’avait conduit dans la capitale de l’Autriche; son existence errante y fut bientôt fixée d’une manière décisive. M. Hebbel y épousa cette même année Mlle Christine Enghaus, la plus grande tragédienne de l’Allemagne, admirable surtout dans ce rôle de Judith qu’elle a interprété sur le théâtre impérial de Vienne avec une puissance irrésistible. Depuis ce moment, M. Hebbel n’a pas quitté sa nouvelle résidence. La révolution de 1848 ayant donné au théâtre autrichien certaines libertés qui lui manquaient, pourquoi le poète de Judith et de Geneviève ne continuerait-il pas à Vienne, aussi bien qu’à Hambourg ou Berlin, le cours de ses audacieuses expériences? Il s’adresse aujourd’hui à un