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Holopherne est dans son camp. Le symbolique personnage que nous a montré le premier acte reparaît ici dans le quatrième avec des proportions plus terribles : c’est le génie même du mal, c’est la destruction repue de sang et de carnage, et avide de forfaits nouveaux. Si le monstre n’est pas arrêté dans sa furie, il semble que l’existence du monde soit menacée. Judith a eu raison de le dire : « La nature entière demande sa mort. » Pendant qu’il s’entretient avec ses lieutenans, pendant que sa pensée impudente a l’air d’ébranler déjà les lois sublimes qui sont le fondement de toutes choses, on annonce qu’une femme est à la porte.

A mesure que Judith approche de l’heure fatale, la nature reprend ses droits, et la femme reparaît. Qui sait si Holopherne ne sera pas intérieurement dompté par celui qui bride les flots de la mer? Elle essaie de le toucher, elle veut voir s’il lui reste quelque sentiment de dignité vraie, et quand elle sent bien que cette libre n’existe pas chez le monstre, elle s’efforce de le prendre par l’orgueil. Rien n’y fait; la dernière épreuve qu’elle avait tentée est inutile, il faut que la volonté divine s’accomplisse. Cependant il lui reste cinq jours encore; elle a recours à la dissimulation pour se réserver ce délai. Si elle est venue, dit-elle, c’est pour exécuter la vengeance de Dieu sur un peuple souillé de péchés et de crimes; Holopherne est l’envoyé des colères d’en haut; elle lui livrera Béthulie et la Judée tout entière, elle le conduira jusqu’à Jérusalem. Qu’il lui accorde seulement cinq jours, qu’il la laisse se retirer dans la montagne pour faire ses prières et accomplir les pénitences prescrites; après ce temps, elle sera préparée à son ministère, et elle viendra chercher Holopherne. — Tu es libre, répond Holopherne; je n’ai jamais fait garder les pas d’une femme. Je t’attends ici dans cinq jours.

Le cinquième jour s’est écoulé. Judith est dans la tente d’Holopherne. La sainteté, la fervente exaltation de la belle Israélite éveillent chez le général assyrien une pensée étrange. Confiant dans le prestige de sa force, il veut qu’elle s’incline elle-même devant lui. Une inspiration d’en haut, il le sait, remplit le cœur de Judith; il faut que l’image d’Holopherne y remplace celle du Dieu des Juifs. N’est-ce pas une façon de se mesurer avec le ciel? Or telle est la misère de notre pauvre espèce, que nous nous laissons prendre à la seule apparence de la grandeur. Il y a dans l’emploi audacieux de la force une sorte de diabolique séduction dont les meilleures natures ressentent l’effet. Holopherne ne se déguise pas comme le Satan de la Bible; il ne se transforme pas en rêveur comme le démon qui séduisit Éloa : il déploie en quelque sorte toutes les hideuses puissances de son être, il étale cyniquement son orgueil effréné, son mépris des lois éternelles, son ambition que rien n’assouvit. On dirait un des anges ténébreux qui