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BEAUMARCHAIS, SA VIE ET SON TEMPS.


« De quel droit, écrit-elle à une autre amie, veux-tu donc que je travaille pour ta fête, quand tu as négligé de me souhaiter la mienne ? Ma patronne n’est-elle pas la reine des patronnes, et moi ne valais-je pas bien plus qu’une Sophie ? J’admire que tu menaces. Au reste, je n’ai pas le temps d’écouter tes propos, j’ai bien d’autres affaires.

« Nous jouons la comédie et nous faisons l’amour, vois si l’on peut dormir avec toutes ces idées ! Nous avons joué mardi Nanine avec les Folies amoureuses. J’avais une assemblée de quarante-cinq personnes, et ta Julie a plu généralement dans tous ses rôles ; chacun l’a déclarée une des meilleures actrices. Ce que je dis ici n’est pas pour la vanter, car on sait comme elle est modeste ; mais c’est uniquement pour caresser ton faible et justifier ton choix que j’en parle si haut.

« Le lendemain de la Quasimodo, nous donnons le Tartufe et la Servante maîtresse. Le chevalier fera le rôle de Tartufe, et moi Dorine, la suivante. Nous préparons d’ailleurs une autre fête plus agréable pour le retour de Beaumarchais. Je te dirai toutes ces choses. »


En fait de belles manières, Julie est exigeante. Ainsi je la vois écrivant d’un château de la Touraine à sa sœur : « En général, le ton de cette maison n’est pas mauvais, mais ce n’est pas le vrai ; il y a quelque chose à reprendre. » L’esprit de Julie a cependant sa part des défauts de celui de son frère. Il n’est pas étranger à une certaine affectation, à une certaine subtilité un peu entortillée, de même qu’il pèche de temps en temps par une jovialité un peu crue. Chez elle, comme chez Beaumarchais, le côté faible, c’est le goût. Tantôt, pour reprocher à sa plus jeune sœur sa paresse à écrire, Julie s’exprime ainsi :


« Quel mauvais riche je te vois ! avec tant d’esprit pour donner, un si beau sentiment pour exprimer, une fécondité si heureuse et si noble, tu me fais demander, à moi, pauvre Lazare ! Il faut que je gratte à la porte de ton cœur, que je m’empresse autour de ton esprit, que je réveille tous tes valets les bons propos, que je paie ta femme de chambre la mémoire, pour mettre sur pied ton suisse le bon rapport, et tes gens-sucre les bonnes idées ; va, je crois bien que tu seras damnée pour avoir tant d’esprit et si peu de bonté[1]. »


Tantôt, à côté d’une lettre pleine d’excellens conseils à cette même sœur plus jeune qui venait de se marier, j’en trouve une autre où Julie, se plaignant d’être éloignée de la nouvelle mariée par un voyage, apostrophe directement son beau-frère et le plaisante avec ce ton gaillard et déluré qui rappelle Beaumarchais.

  1. Ailleurs Julie écrit : « J’aime toujours ma Lhénon par A, parce qu’elle est affable ; je la désire par B, parce qu’elle est bonne ; je l’envoie promener par C, parce qu’elle est capricieuse ; je la reprends par D, parce qu’elle est douce ; je la rends par F, parce qu’elle est folle, et ainsi du reste. » Elle aime aussi les arlequinades. Pour finir comme Arlequin, écrit-elle à sa sœur et dans ton genre : « Je te salue, belle fleur de pêcher, cher antimoine de mes inquiétudes, doux lénitif de mes pensées, je vais faire infuser dans la terrine de mon souvenir tous les gracieux talens dont la nature t’a richement pourvue. »