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généreuse ardeur. Après Goethe et Schiller, la scène d’Egmont et de Wallenstein était devenue rapidement la proie des fabricans dramatiques. En vain quelques fougueux artistes, comme Zacharias Werner et Henri de Kleist, avaient-ils redoublé de zèle pour maintenir l’œuvre des maîtres : les circonstances publiques enchaînaient leur essor. Henri de Kleist semblait exhaler dans ses drames la fièvre patriotique de son ame; l’agitation désordonnée de Zacharias Werner accuse aussi l’état général de cette période : ni l’un ni l’autre, malgré des qualités supérieures, ne put retenir la poésie sur la pente où elle glisse d’ordinaire si brusquement. Leur caractère, c’était l’inquiétude et l’intempérance du talent. En face d’eux, au contraire, il y avait une autre tendance : c’était le groupe des poètes spécialement appelés romantiques, qui espéraient trouver la sérénité dans les fantaisies d’un idéalisme prétentieux. Inquiétudes du cœur ou rêveries de l’esprit, telles étaient les dispositions maladives des hommes qui se portaient les héritiers de Schiller et de Goethe : comment auraient-ils pu marcher en maîtres sur le théâtre et diriger l’opinion? Des écoles qui ne possèdent ni la sérénité ni la force ne conduiront jamais la foule. Abandonné à ses instincts, le public n’eut plus d’encouragemens que pour les ouvrages vulgaires; les écrivains de métier s’emparèrent de la scène et y régnèrent presque seuls. Quelques écrivains même assez distingués, Müllner, Houwald, quoique issus du mouvement romantique, se joignirent aux Kotzebue, aux Ziegler, à tous les chefs brevetés de l’industrie littéraire. — Tragédies bourgeoises, comédies sentimentales, drames historiques sans grandeur et sans vie, voilà ce que produisit long-temps le théâtre sous cette déplorable influence. Si quelque poète digne de ce nom brillait encore par intervalles, si le généreux Immermann écrivait Alexis, André Hofer et la Tragédie dans le Tyrol, si Uhland donnait Louis de Bavière et Ernest duc de Souabe, si le comte Platen, dans ses comédies aristophanesques, châtiait les admirateurs d’Houwald et de Raupach, ces rares écrivains s’honoraient eux-mêmes sans parvenir à relever un art dégradé.

Depuis Immermann et Platen, cet espoir de régénérer la scène, au lieu d’inspirer seulement des efforts isolés, est devenu l’ardente préoccupation de toute une école. Pourquoi faut-il que cette ardeur ait été si mal dirigée? L’expérience avait parlé cependant : ce qu’on devait éviter avant tout, c’étaient les deux écueils où s’étaient perdus les devanciers, c’étaient la fougue des imaginations inquiètes et les subtilités des rêveurs. Or la critique passionnée qui prétendait susciter des poètes ne remplissait guère les conditions de son rôle; on sentait je ne sais quelle agitation fébrile dans ses conseils, et le mysticisme le plus inattendu s’y joignait à l’impatience du désir.

Lessing, il y a un siècle, dans les pages ardentes de sa Dramaturgie,