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t’avoir à mes côtés. Adieu, mon amie. Si tu trouves que mon détail puisse amuser nos bons parens et amis, je te laisse la maîtresse d’en faire lecture un soir entre vous ; tu les embrasseras bien tous par là-dessus, et bonsoir, je vais me coucher…… sans toi pourtant…… cela me paraît dur quelquefois. Et mon fils, mon fils ! comment se porte-t-il ? Je ris quand je pense que je travaille pour lui. »


Le cœur affectueux et bon qui se révèle dans cette lettre fut bientôt mis à une cruelle épreuve. Après moins de trois ans de mariage, Beaumarchais perdit sa seconde femme, qui mourut, le 21 novembre 1770, des suites d’une couche. Les colporteurs d’infamies ne manquèrent pas de dire que ce second veuvage était bien étrange et venait à l’appui des rumeurs répandues sur le premier. Il y avait bien une petite difficulté : c’est que, la moitié au moins de la fortune de sa seconde femme étant en viager, Beaumarchais avait le plus grand intérêt à la conserver, et de plus elle lui laissait un fils ; mais les nouvellistes immondes n’y regardaient pas de si près. Cependant, lorsque ce fils lui-même fut mort deux ans après sa mère, le 17 octobre 1772, la calomnie n’osa pas être conséquente : on ne songea pas, dit La Harpe, à insinuer qu’il avait aussi empoisonné son enfant.

Telle était donc la situation de Beaumarchais en 1771. Comme particulier, il venait encore une fois de passer d’un état opulent à une situation beaucoup moins brillante ; comme écrivain, il n’avait pas encore atteint la renommée : le succès flatteur, mais éphémère de son premier drame avait été effacé par l’échec du second. Le gros du public ne voyait en lui qu’un dramaturge larmoyant et lourd de l’école de Diderot ; nul ne soupçonnait encore l’auteur du Barbier de Séville, et l’on trouvait assez ressemblant ce portrait que Palissot, dans une satire du temps, trace en deux vers :


Beaumarchais, trop obscur pour être intéressant.
De son dieu Diderot est le singe impuissant.


C’est alors qu’un procès, qui ne tendait à rien moins qu’à le déshonorer et à le ruiner, en engendre un autre, qui devait l’écraser complètement, et qui a pour résultat de mettre en lumière toute la verve comique dont la nature l’avait doué, de le replacer sur le chemin d’une immense fortune, et de faire de lui pour un moment l’homme le plus célèbre, le plus populaire de son pays et de son temps.


Louis de Loménie.