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depuis avec éclat, moyennant des retranchemens et des corrections ; elle a long-temps occupé le public, et ce succès fait beaucoup d’honneur à nos comédiens[1]. » On voit que c’est également par erreur qu’on a écrit souvent depuis que ce début de Beaumarchais ne fut pas heureux. Sans vouloir comparer les deux pièces, il arriva à Eugénie ce qui devait arriver plus tard au Barbier de Séville. Les deux derniers actes compromirent un instant le succès des trois premiers. C’est dans ces deux derniers actes que Beaumarchais, copiant presque littéralement le fond d’une nouvelle du Diable boiteux de Lesage (le Comte de Belflor), faisait tomber des nues le frère d’Eugénie, sauvé par le séducteur de sa sœur, obligé de le provoquer ensuite, et dont la présence commençait en quelque sorte une nouvelle pièce remplie de confusion et de longueurs. Entre la première et la seconde représentation, Beaumarchais retoucha beaucoup les deux derniers actes ; ils restèrent toujours faibles, mais ce changement suffit pour mettre en relief les trois premiers, qui contenaient de belles parties, annonçant déjà un rare talent de mise en scène et de dialogue ; le troisième acte notamment était très dramatique et produisit un grand effet. Le jeu distingué, décent et émouvant d’une jeune et aimable actrice, Mlle  Doligny, qui représentait Eugénie, ne contribua pas peu à sauver ce drame et à le faire triompher avec éclat du danger qui l’avait menacé à la première représentation.

L’auteur d’Eugénie gagna donc son procès auprès du public, mais il trouva plus de sévérité chez les critiques du temps, qui semblent en général assez mal disposés pour ce nouveau venu. « Cet ouvrage, dit Grimm en parlant d’Eugénie, est le coup d’essai de M. de Beaumarchais au théâtre et dans la littérature. Ce M. de Beaumarchais est, à ce qu’on dit, un homme de près de quarante ans (il en avait trente-cinq), riche, propriétaire d’une petite charge à la cour, qui a fait jusqu’à présent le petit-maître, et à qui il a pris fantaisie mal à propos de faire l’auteur. Je n’ai pas l’honneur de le connaître, mais on m’a assuré qu’il était d’une suffisance et d’une fatuité insignes. » Ailleurs, le même Grimm dit, à propos du second drame de Beaumarchais et par allusion à l’origine de l’auteur : « Il valait bien mieux faire de bonnes montres qu’acheter une charge à la cour, faire le fendant et composer de mauvaises pièces. » Ce ton ne respire point la sympathie, et il faut bien reconnaître que la réputation de fatuité dont jouissait Beaumarchais n’était pas précisément volée ; mais Grimm, le plus présomptueux des hommes, qui mettait du blanc et du rouge comme une vieille coquette, et qui, non moins roturier que l’auteur d’Eugénie, se faisait appeler le baron de Grimm gros comme le bras, Grimm re-

  1. Année littéraire, 1767, tome VIII, page 309.