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tesse, si éloignée de la stérile et minutieuse civilité dont on se régale à la ville, et qui ne montre qu’un fade supplément à la bienfaisance de l’ame, source de toute honnêteté :

« Qu’il est facile à la grandeur
D’imposer des lois à notre ame !
Un coup d’œil soumet notre cœur,
Une politesse l’enflamme.

« Raisonnons maintenant sur vos réflexions, elles ont fermenté dans ma tête, je m’en suis occupé, et si je reste attaché (pardon) à la situation où je mets dans la bouche d’Eugénie qu’elle se méprise tout haut d’aimer un perfide, mais que si elle a le courage de le mépriser vivant, rien ne pourra l’empêcher de le pleurer mort, etc. ; si j’y reste attaché, dis-je, c’est que tous mes efforts pour me ranger à votre avis n’ont pu me dépersuader que la magnanimité du repentir et l’aveu public et libre que le coupable fait d’une faute quelconque, non-seulement est au-dessus du mal, mais encore au-dessus de la honte de l’aveu. Tourmentée, déchirée par une passion qu’elle déteste, qu’est-ce qu’Eugénie m’apprend par son aveu ? Qu’il semble qu’elle renferme deux ames : l’une faible, presque charnelle, attachée à son séducteur, entraînée vers lui par un mouvement d’entrailles, dont on ne se défend guère contre un perfide aimable dont on est enceinte ; et l’autre, ame sublime, élevée, tout esprit, toute vertu, méprisant et foulant aux pieds la première, et surtout l’accusant en public et la couvrant de honte sans ménagement. L’effet de ce combat est certain : il faut qu’il tue Eugénie ou détraque entièrement la faible machine, théâtre de ce conflit de puissance. Eh bien ! il le fera, elle sentira les angoisses de la mort ; mais l’ame sublime ne cédera pas à l’ame sensible, et voilà mon héros. Je souhaite que ce commentaire, peut-être plus embrouillé que le texte, vous paraisse expliquer la chose ; mais telle est la métaphysique du cœur, que plus on veut la définir, plus on s’éloigne de l’assentiment rapide et vrai qui nous la fit apercevoir et nous y arrêter au premier coup d’œil. Permettez-moi, je vous prie, une petite citation à ce sujet, dont la forme sauvera la liberté du fond ; mais lorsqu’il est question de cœur, on sent assez que c’est de tendresse et de plaisir qu’on veut parler. Un jour, dans le délire d’une faveur innocente que j’avais reçue d’une femme très sage (c’était un baiser), je veux chanter ce qui se passe en moi, les idées se pressent, s’accumulent, mon esprit veut se monter au ton de mon cœur ; mais l’impression qui reste d’un baiser délicieux n’est pas de son ressort, le trouble qui m’agite est composé de mille choses que je ne puis exprimer. Enfin, épuisé de fatigue et ne trouvant rien qui me satisfasse, je renonce à mon projet, et je m’écrie :

« Oh ! doux effet du baiser de Thémire,
Je vous ai trop senti pour vous décrire[1].
....................


Et la pièce file. Ma verve, ouverte par ce premier effort, me fait bavarder

  1. La copie de cette lettre que j’ai sous les yeux ne contient que ces deux premiers vers.