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mettre, et la popularité que ce genre domestique a acquise depuis prouve qu’il est entré dans nos mœurs et dans nos goûts ; mais ce qui est une illusion du temps, c’est l’importance exagérée que l’auteur d’Eugénie attache à une forme de composition aussi maigre, qui lui semble appelée à éclipser toutes les autres. Il est assez plaisant d’abord de voir Beaumarchais toujours tout entier à son objet, et ne se doutant pas encore de sa véritable vocation, s’évertuer à prouver que le genre plaisant, c’est-à-dire la comédie, offre beaucoup moins d’intérêt que le genre sérieux ; que la moralité du genre plaisant est ou peu profonde ou nulle, et même inverse de ce qu’elle devrait être ; en un mot, que la comédie est de sa nature essentiellement immorale, ce qui ne l’empêchera pas, dix-sept ans plus tard, dans sa préface du Mariage de Figaro, de reprendre la thèse au rebours, en cherchant à prouver que le genre plaisant de sa pièce est surtout essentiellement moral. Quant au genre héroïque, c’est-à-dire à la tragédie, Beaumarchais en fait très peu de cas. Ce qu’il y a en lui de prosaïque et d’un peu vulgaire perce dans ses appréciations du théâtre antique ; très inférieur sur ce point à son maître Diderot, il ne voit dans le drame grec que le dogme de la fatalité qui le révolte ; il n’y voit ni la beauté grandiose et harmonieuse des figures, ni l’admirable expression des sentimens généraux du cœur humain. Le mot classique, qu’il emploie peut-être le premier dans le sens de l’ironie, semble pour lui, comme l’a très finement remarqué M. Sainte-Beuve, synonyme de barbare ; ainsi il dira : « Si quelqu’un est assez barbare, assez classique, pour soutenir la négative, etc. » Beaumarchais ne se trompe pas moins sur la nature de l’illusion dramatique, et en cela, comme en beaucoup de choses, il est en plein dans le courant des idées de son temps. Le siècle précédent ne voulait prendre au sérieux sur la scène que les rois et les héros : Beaumarchais bannit rigoureusement les héros et les rois du drame sérieux ; suivant lui, ils n’excitent point un véritable intérêt ; leurs infortunes, étant exceptionnelles, n’agissent pas sur notre cœur. « C’est notre vanité seule, dit-il, qui trouve son compte à être initiée dans les secrets d’une cour superbe ; le spectateur est surtout sensible aux malheurs d’un état qui se rapproche du sien, » c’est-à-dire qu’un marchand qui va déposer son bilan est plus dramatique qu’un roi déchu, ou un héros qui vient de perdre une bataille.

Après avoir exclu les héros, Beaumarchais exclut naturellement les grands faits de l’histoire, et entre autres argumens à l’appui de sa thèse, il en donne d’assez singuliers, qui ne prouvent guère qu’une chose : c’est qu’en 1767 il n’était pas prophète. « Que me font à moi, dit-il, sujet paisible d’un état monarchique du XVIIIe siècle, les révolutions d’Athènes et de Rome ?… Pourquoi la relation du tremblement de terre qui engloutit Lima et ses habitans à trois mille lieues de moi me