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bon ami ; j’espère que votre première visite en revenant de Versailles sera celle de mon oncle. Songez à tout le respect que vous lui devez, s’il allait devenir le vôtre ! Je finis, car je me sens extravaguer de tout mon pouvoir. Bonsoir, méchant. »


L’oncle ayant apparemment refusé de s’engager, le mariage entre Pauline et Beaumarchais n’en fut pas moins arrêté ; seulement il fut convenu qu’il serait ajourné jusqu’à l’arrangement des affaires de Saint-Domingue. En attendant, on continua de se voir et de s’aimer, et le cœur de la jeune créole s’engagea de plus en plus. Le dossier que j’ai sous les yeux ne contient que quelques-unes de ses lettres, le reste lui fut renvoyé sur sa demande après la rupture ; mais, comme il arrive quelquefois en pareille circonstance, Beaumarchais eut soin de garder les plus accentuées ; peut-être Pauline, de son côté, en agit-elle de même, car il y a aussi dans les lettres de son fiancé quelques lacunes qui jettent un peu d’ombre sur les divers incidens de ce petit roman domestique.

En général, les lettres de Beaumarchais qui restent au dossier manquent d’élan et de poésie. Il semble qu’une si charmante jeune fille était faite pour inspirer mieux. Cependant quelques-unes de ces lettres assez bizarres ne sont peut-être pas sans intérêt pour l’explication de ce type original et complexe qui a nom Figaro. On a dit parfois que le côté analyseur, raisonneur, discuteur de ce personnage, d’ailleurs si actif et si remuant, était purement artificiel, que ce n’était qu’un placage destiné à fournir à l’auteur un moyen d’exploiter l’allusion aux choses du jour et la satire sociale. Or il est déjà facile de reconnaître, par les lettres de Madrid que nous avons citées, combien Beaumarchais est naturellement lui-même un homme d’action et d’analyse, un abbé de Gondi et un Montaigne, — combien il aime à interrompre de temps en temps ses récits pour philosopher à tort et à travers sur lui-même ou sur autrui. Ce trait de physionomie paraît encore plus saillant ici. Figaro est certainement assez étrange, lorsqu’au fameux monologue du cinquième acte de la Folle Journée, il choisit le moment où la jalousie le dévore pour disserter de omni re scibili ; mais peut-être n’est-il pas beaucoup plus étrange que Beaumarchais, à trente ans, écrivant à une jeune et jolie personne qui est amoureuse de lui des dissertations comme celle-ci par exemple :


« Je vous remercie, ma très chère Pauline, des louanges que vous donnez à ma première lettre[1], mais elle a plus de succès que vous ne lui en croyez sûrement. Elle pique votre amour-propre, l’envie de faire des reproches amène la nécessité d’écrire, et de là une lettre à mon adresse. C’est tout ce

  1. Ce n’est pas la lettre que nous venons de reproduire, mais une lettre de badinage que Beaumarchais avait écrite précédemment pour dire qu’il n’écrirait pas le premier.