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essentiels ; il travaillait à éclaircir et à régler l’état fâcheux et embrouillé de sa fortune, il obtenait pour elle la recommandation de Mesdames de France auprès de l’intendant de Saint-Domingue, M. de Clugny ; il se montrait enfin amant très aimable et ami très dévoué. On concevra sans peine que le cœur de la jeune et belle créole se prit d’un sentiment très vif pour un tuteur aussi agréable. Beaumarchais était assez amoureux de son côté ; cependant, comme l’amour ne lui fit jamais perdre absolument la tête, avant de se décider à demander Pauline en mariage, il avait envoyé un parent à lui à Saint-Domingue, avec une somme de 10,000 francs et une cargaison assez considérable de divers objets applicables aux besoins de l’habitation. Ce parent était spécialement chargé de vérifier au juste le passif et l’actif de la fortune de Mlle Le B…, et de voir le parti qu’on pourrait tirer de sa propriété. C’est après son départ, en 1763, que s’engage, entre Beaumarchais et Pauline, la correspondance dont on va lire quelques extraits. Pour que la première lettre de Beaumarchais soit bien comprise, il faut ajouter que Pauline, élevée par une tante qui était veuve, avait à Paris un oncle, veuf aussi, lequel par conséquent n’était pas le mari de sa tante, que cet oncle était assez riche et n’avait point d’enfans. Laissons maintenant la parole à Beaumarchais amoureux, mais non moins prudent qu’amoureux, et dépensant beaucoup de périphrases pour allier la prudence et l’amour.


« Vous m’avez trouvé l’air triste, ma chère et aimable Pauline, et je n’étais qu’occupé ; j’avais mille choses à vous dire, et elles me paraissaient si sérieuses, si importantes, qu’en y rêvant j’ai cru plus raisonnable de vous les écrire, afin qu’étant fixées sur le papier vous puissiez mieux en saisir le véritable esprit. Si des paroles bientôt oubliées ne vous laissaient que l’ensemble de mes discours dans la tête, vous pourriez leur donner un autre sens, et il importe beaucoup que des choses où tient le bonheur de ma vie ne soient pas légèrement expliquées. Vous n’avez pas pu douter, ma chère Pauline, qu’un attachement sincère et durable ne fût la véritable cause de tout ce que j’ai fait pour vous ; quoique j’aie eu la discrétion de ne pas établir ouvertement une recherche de mariage, avant que d’être en état de vous faire une situation, toute ma conduite a dû vous prouver que j’avais des intentions sur vous et qu’elles étaient honnêtes. Aujourd’hui que voilà mes promesses effectuées et mes fonds engagés pour le rétablissement de vos affaires, je cherche à recueillir le plus doux fruit de mes soins ; j’en dis même hier quelque chose à votre oncle, qui me parut disposé favorablement pour moi. Je dois même vous avouer que je me suis flatté devant lui que votre consentement ne me serait pas refusé, lorsque j’expliquerais clairement mes intentions. Pardon, ma chère Pauline, c’est sans présomption que je me suis porté à lui faire cet aveu. J’ai cru trouver dans votre constante amitié le sûr garant de ce que j’avançais. M’en désavouerez-vous ? Une seule chose m’arrête, mon aimable Pauline ; avec de l’arrangement et une honnête économie, je trouve bien dans l’état ac-