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de chaque côté de l’esquif, la barre était franchie. Ce fut alors que Chérumal se précipita avec son éléphant au milieu de la vague. L’animal, plongé dans la mer jusqu’au poitrail, posa sa trompe sur l’arrière du canot comme un grappin.

— Arrêtez, ou je vous coule, criait le mahout; tiens bon, Soubala !

L’éléphant ne lâchait pas prise; par un mouvement rapide, Yousouf s’était levé, et, avec la pointe de son coutelas, il menaçait la trompe de l’animal.

— Enlève Mallika, sauve-la, mon bon Soubala, dit Chérumal avec enthousiasme; sauve-la, et coule les brigands!

Soubala comprit les paroles de son maître; sa large patte écrasa comme une coquille de noix le frêle esquif, tandis que sa trompe flexible enlaçait doucement le corps tremblant de Mallika. Il l’éleva en l’air, et confia aux bras du mahout ce précieux trophée de sa victoire; puis il se retira à reculons sur le rivage, sans s’occuper des matelots et du nakodah qui se débattaient au milieu de la mer. Le flot rejeta bien vite sur le sable les débris du canot avec les Arabes, qui se secouaient comme des caniches. Les deux rameurs tremblaient de peur, et Yousouf de colère. Celui-ci, pressé de retourner à bord de son navire pour y cacher sa honte et son chagrin, cherchait quelque pirogue le long du rivage. Les deux pêcheurs se rencontrèrent à point nommé, comme s’ils l’eussent guetté au passage. Tirupatty, le plus jeune et le plus poltron des deux frères, ne se voyait pas sans inquiétude si près du redoutable nakodah; mais Tiruvalla lui dit tout bas à l’oreille : — Viens, cette fois tu n’auras aucun risque à courir... Puis, s’adressant à Yousouf :

— Le nakodah désire se rendre à bord; il sait bien que notre pauvre pirogue n’est guère en bon état?

— Partons, dit Yousouf; voilà une roupie.

— Le nakodah est un homme généreux, continua le pêcheur, qui avait vu de loin la mésaventure de l’Arabe; quel malheur que son canot se soit brisé sur la barre! Un plongeon n’est rien pour de pauvres mariniers comme nous habitués à vivre dans l’eau; mais pour vous, illustre nakodah, c’est bien autre chose. Vos beaux habits sont tout souillés de vase et de sable... Vois donc, Tirupatty!

Les Arabes naufragés sautèrent dans la pirogue, qui franchit la barre avec la légèreté d’une plume; un quart d’heure suffit pour les conduire sains et saufs à bord du baggerow. Après avoir souhaité à Yousouf et à son équipage un voyage heureux et toute sorte de prospérités pour le reste de leurs jours, les pêcheurs s’éloignèrent. Quand la pirogue fut assez distante du navire pour n’être plus aperçue des Arabes, Tiruvalla fit signe à son frère de ne plus ramer.

— Maintenant, lui dit-il, nous allons en finir avec ces chiens