Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/476

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

imagination troublée des perspectives séduisantes. Quand le jour parut, il lui sembla que le soleil se levait plus radieux et que les fleurs du jardin exhalaient un parfum d’une douceur inaccoutumée. Le regard de tendresse confiante que son père laissa tomber sur elle lui causa bien quelque émotion. Elle allait donc l’abandonner seul dans cet enclos qu’elle avait réjoui de sa présence pendant quinze années! Il y mourrait peut-être de tristesse et de chagrin!... Mais l’Arabe ne devait-il pas l’emmener à son tour? ne seraient-ils pas bientôt réunis? Le plaisir de se revoir ferait oublier si vite les ennuis d’une courte séparation! Ainsi pensait Mallika, et elle faisait furtivement ses préparatifs de voyage.

De son côté, Yousouf était prêt à mettre à la voile. Ses matelots avaient passé toute la journée à remplir leurs outres de peau de chèvre aux citernes du rivage. Dès que la nuit jeta son ombre sur la terre et sur les flots, le nakodah quitta son navire dans un esquif monté par deux rameurs. Il rentra dans le canal par lequel les eaux de l’intérieur se déversent dans l’Océan, et traversa toute la ville d’Alepe en remontant l’un des ruisseaux qui l’arrosent. Arrivé ainsi à une petite distance du jardin de Mallika, il fit signe à ses rameurs de l’attendre et s’enfonça dans les sentiers étroits qu’il avait si souvent parcourus. Mallika l’attendait dans un coin reculé de l’enclos; elle comprit qu’elle ne s’appartenait plus, et son premier mouvement fut de saisir la main de l’étranger qui disposait déjà de son sort. Yousouf avait hâte de retourner à son canot; il l’entraîna doucement vers la route pour s’assurer qu’elle était bien décidée à le suivre. La jeune fille hésita un instant. La voix chevrotante de son père, qui ramenait ses buffles en chantant, venait de frapper son oreille; elle poussa un soupir et versa une larme, — la première qui eût coulé de ses yeux! Les souvenirs de son heureuse enfance s’éveillèrent dans son cœur; elle eut peur et tressaillit... Comme pour se dérober à l’émotion qui l’oppressait, Mallika cacha sa tête entre les bas de Yousouf, et fit un pas en avant. Elle était partie! Appuyée sur le bras de l’Arabe, l’Hindoue marchait sans rien dire, marquant à peine sur la poussière l’empreinte de ses pieds nus. Tout à coup Yousouf s’arrêta; il avait entendu un bruit de branches froissées qui annonçait l’approche d’un éléphant; l’animal s’avançait vers lui de manière à lui fermer la route. Il prit Mallika dans ses bras, franchit la haie qui le séparait du champ voisin, et gagna précipitamment son canot. Aucun indice ne les avait trahis; ils pouvaient maintenant atteindre le baggerow sans laisser d’autre trace de leur fuite que le sillage si vite effacé de la petite barque. Obéissant au signal de leur maître, les matelots ramèrent le plus légèrement qu’il leur fut possible et dans le plus profond silence. Ils ne levaient pas même leurs regards sur la jeune femme assise à l’arrière du canot