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fût intervenue; elle n’a eu qu’un mot à dire pour apaiser la méchante bête.

— Vois donc l’étrange fille! s’écria le vieillard; avoue, Chérumal, qu’il n’y a pas dans tout le Travancore une créature comparable à celle-là.

— C’est vrai, répliqua le mahout en soupirant; elle a un regard et une voix qui charment les hommes et les animaux. On répète partout qu’elle possède les formules magiques.

— Vraiment?... Et qui les lui aurait enseignées? Ce n’est pas moi, mahout, car, en vérité, je ne suis point sorcier.

— Ni moi non plus, dit naïvement Chérumal. Hier j’étais si troublé, que je ne lui ai pas adressé une parole de remerciement pour le service qu’elle m’a rendu... Ce n’est pas par des discours, c’est par des actions que je voudrais lui témoigner ma reconnaissance. En attendant que je m’acquitte envers Mallika, remettez-lui ce petit présent... le seul joyau que m’ait légué en mourant ma pauvre mère.

Il présenta à l’extrémité de son crochet de fer un collier de corail, que le vieillard, en se penchant vers lui, saisit du haut de l’arbre.

— Tu as bon cœur, mon fils, dit le vieux jardinier d’une voix affectueuse. Mallika te saura gré de ce cadeau.

— Oh! non, répondit le mahout; elle ne m’aime point! pourvu qu’elle garde ce collier et ne me le renvoie pas, je serai satisfait. Dites-lui, mon père, que je ne l’importunerai plus de mes visites; mais, si jamais la présence du pauvre mahout cessait de lui être désagréable, qu’elle suspende ce collier autour de son cou, et j’oublierai ce qu’elle m’a fait souffrir.

Le vieillard entendit à peine ces dernières paroles; il regardait avec étonnement le mahout, qui s’éloignait lentement après avoir promis de ne plus revenir. Chérumal regagna les bords du canal, où l’appelaient ses travaux accoutumés. Tout près de là, sur le bord de la mer, les deux pêcheurs, qui avaient passé la nuit dans leur pirogue, prenaient leur repas du matin.

— Quand retournerons-nous à la pêche? demanda Tirupatty à son frère. J’aimerais à étrenner des filets neufs.

— Tant que ce maudit baggerow est en rade d’Alepe, il me semble qu’une affaire importante nous retient ici, répondit Tiruvalla. N’avons-nous pas deux comptes à régler avec le nakodah : l’un pour le mal qu’il nous a fait, et l’autre pour le mal que nous n’avons pas pu lui faire!

— Vois donc comme les goélands voltigent en criant au-dessus des vagues? répliqua Tirupatty; il y a là-bas des bancs de poissons.

— Regarde donc plutôt le nakodah qui vient à terre dans son canot, couché sur un tapis comme un nawab; il a l’air de nous narguer.