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du XVIIIe siècle, ce que la société française d’aujourd’hui a reçu de ses pères, c’est la négation et le doute, ce sont les solutions légères et railleuses sur tous les grands problèmes de la destinée humaine. Ce fut là son funeste héritage. Tout ce qu’elle a acquis de vérité philosophique et religieuse, c’est son œuvre et son labeur propre. Ce qu’elle a gagné surtout, autant par les échecs que par les succès de ses efforts personnels, c’est le sentiment de sa propre insuffisance, c’est le besoin d’un secours surnaturel qui l’assiste sans l’opprimer. Voilà le résultat de sa longue et souvent malheureuse inquisition. Chrétiens, pourquoi aurions-nous donc toujours l’air de faire appel à une tradition aveugle et de repousser une raison réfléchie et éclairée? C’est la tradition de la société présente qui nous est contraire, c’est sa raison qui nous appartient. Une philosophie rationnelle et par conséquent inquisitive, une philosophie partant de la raison pour s’élever jusqu’à la foi, est aujourd’hui autant dans les vrais intérêts du christianisme que dans la tendance et la nécessité de l’esprit moderne.

Ce que nous disons de la philosophie, nous pouvons le dire aussi de la politique. En toute matière politique, législation, administration, constitution des pouvoirs publics, le moyen-âge, nous l’avons dit, partait de la conquête, c’est-à-dire de l’autorité absolue et illimitée d’un homme ou d’un petit nombre d’hommes sur tous les autres. La société présente sort d’une révolution, c’est-à-dire de l’affranchissement absolu et illimité de toute autorité régulière. On peut préférer indifféremment l’un ou l’autre de ces points de départ, on peut surtout ne les aimer guère ni l’un ni l’autre; mais ce qui n’est pas permis, c’est de les confondre. Ces points de départ différens donnent un caractère tout opposé aux tendances des deux sociétés politiques. Tout se faisait, au moyen-âge, au nom de l’autorité : c’était au nom de l’autorité que les lois étaient portées, que les guerres étaient engagées, que les crimes mêmes se commettaient. Tout se fait, parmi nous, au nom de la liberté des peuples, même alors qu’on les opprime. Quand l’anarchie régnait au moyen-âge, c’était par le débordement et le conflit d’autorités rivales. Quand le pouvoir absolu s’impose à la société présente, c’est à la faveur des excès et sous les dehors mêmes de la liberté. Le pouvoir absolu sent lui-même le besoin de demander son baptême à la liberté, dans les eaux de l’élection populaire. Et quand les forces sociales sont ainsi déplacées, on voudrait que rien ne fût changé dans le rôle et dans le mode d’action politique de l’église! on lui demanderait de conserver les mêmes points d’appui, quand tous les élémens de puissance et de résistance sont renversés! L’église, au moyen-âge, s’alliait habituellement avec les pouvoirs temporels, elle était devenue elle-même un pouvoir temporel de premier ordre, parce que c’était là la véritable force qui pouvait servir au bien ou être tournée au