Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/435

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monde s’en allait donc au plus complet état d’anarchie qui ait jamais été, si l’église n’était intervenue. C’est elle seule qui fit jaillir quelque lumière sur ce chaos. En l’absence de droits positifs, elle plaida en faveur des vaincus la pitié chrétienne, l’équité naturelle, la fraternité humaine; elle plaida, par son exemple et sa majestueuse discipline, la cause de l’ordre et de l’autorité contre l’anarchie. Le régime féodal sortit de cette lutte patiente de l’église et de la barbarie. Ce fut la charte qu’arracha lambeau par lambeau la religion à la conquête. Comme toute transaction, elle porte à la fois l’empreinte et comme le sceau des deux parties contractantes; elle a la rudesse de la domination armée, tempérée par je ne sais quel souffle de miséricorde paternelle. Le vaincu, qui eût été, dans l’antiquité, esclave, ilote ou gladiateur, devient le serf de la glèbe, dont le travail est à la discrétion, mais dont la vie est sous la protection du maître, et qu’on ne peut ni priver de son pécule ni arracher de sa cabane. Entre les vainqueurs, ce n’est plus cette dispute grossière de butin qui met en général des bandes de pillards aux prises. C’est un partage régulier qui laisse subsister entre les chefs des diverses tribus un lien de subordination et de société, et qui sauve d’une destruction complète les richesses du monde entier. Tel est à nos yeux le caractère du régime politique du moyen-âge. La conquête est partout à son origine : les monumens les plus complets qui en subsistent, les lois des Normands en Angleterre, les assises du royaume de Jérusalem sont des codes de conquête; mais, s’il est partout né des combats, partout aussi ce régime a reçu la tutelle d’une éducation chrétienne. Issu de la force et tendant vers la règle, il porte par conséquent, dans son propre sein, les principes d’une lutte entre ses divers élémens qui le tient en quelque sorte dans une ébullition constante : incompréhensible et insaisissable, si l’on perd de vue ou sa naissance sanguinaire ou le baptême de vie morale qu’il reçut de l’église catholique; semblable à ce limon fangeux, qui, dans les admirables fresques de Michel-Ange, semble palpiter sous l’attraction magnétique du doigt de Dieu, et dessine déjà, en se soulevant, les nobles formes de l’être animé!

Pour faire naître ainsi une société régulière du sein de la barbarie, l’église employa sans doute principalement l’ascendant des dogmes chrétiens. Gardons-nous pourtant de croire que ce fut là son unique instrument; elle se servit de tout ce qui se trouva sous sa main : coutumes barbares aussi bien que lois romaines. Elle ne dédaigna pas même les vieilles traditions de la Germanie toutes les fois qu’elles présentaient quelques germes ou de justice ou d’humanité, et elle aurait méconnu, elle aurait laissé tomber dans l’oubli ces admirables monumens d’équité, de logique et de bon sens que la jurisprudence romaine avait élevés pendant des siècles! Nous n’avons point lu sans