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soutenue, malheureusement par des argumens qui ne s’accordent pas trop bien ensemble. On a écrit, on écrira encore de gros volumes sur le régime politique du moyen-âge. On y a trouvé, on y peut trouver encore le modèle à peu près de tous les systèmes politiques possibles, depuis la liberté constitutionnelle jusqu’au despotisme pur; on y a cherché l’exemplaire de tous les crimes comme l’idéal de toutes les vertus. Tout peut se trouver à peu près également, en effet, dans un régime politique qui a couvert toute une partie du monde et embrassé une durée de six ou sept siècles, et qui ne nous est connu qu’à travers des documens imparfaits. C’est le cas ou jamais de faire éclater avec quelle souplesse les faits, bien manœuvres, peuvent se ranger en ligne à l’appui des théories les plus opposées. Y a-t-il eu au moyen-âge un régime politique unique, un type de féodalité pure? La féodalité comportait-elle une hiérarchie de pouvoirs régulière avec des attributions déterminées? Le droit du suzerain sur le vassal, du vassal sur le vavasseur, du vavasseur sur le serf, la juridiction suprême de l’église et du pape sur cette pyramide d’autorités superposées, tout cela a-t-il été nulle part nettement établi? Toute cette machine a-t-elle jamais exercé régulièrement ses fonctions? Nous prenons la liberté d’en douter grandement. Les siècles du moyen-âge nous paraissent présenter au contraire l’image d’un litige universel, d’une lutte acharnée et constante engagée sur chaque petit point du sol. Des hommes toujours bardés de fer et une terre hérissée de châteaux crénelés, nous en demandons bien pardon à M. Donoso Cortès, mais c’est là un singulier uniforme pour l’harmonie politique par excellence. Si le code des droits politiques a existé dans cet âge, il a eu habituellement le sort de ces traités de droit des gens et de droit national que des publicistes élaborent dans leurs cabinets, que les hommes d’état invoquent dans leurs pièces diplomatiques, mais qui, n’ayant d’autre sanction que le sort des combats, sont habituellement interprétés par la force et fléchissent sous le poids des gros bataillons.

C’est qu’en effet l’Europe entière, après l’invasion des Barbares, était retombée subitement sous les conséquences les plus rudes de cet état des sociétés primitives qu’on nomme en droit public l’état de nature. Conquises presque d’un seul coup, toutes ses lois civiles et politiques, toutes ses règles d’administration et de justice devaient disparaître à la fois et faire place à un seul droit incontestable et illimité : le droit de la conquête. L’empire romain appartenait corps, âmes et biens aux Barbares, en plénitude de propriété, avec la faculté d’user et d’abuser : c’était la prérogative du vainqueur; ni Vattel, ni Grotius ne la lui aurait contestée. Rien ne subsistait, en droit, après la conquête de l’ancienne constitution romaine, et ce n’étaient pas les lois informes des peuplades nomades de la Germanie qui pouvaient s’y substituer. Le