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En philosophie, on pense bien que l’église ne pouvait se montrer ni si indifférente ni si accommodante qu’en politique. Elle avait là les droits de la vérité à revendiquer contre les témérités de l’orgueil humain ou contre les bassesses de l’idolâtrie. Rien n’égale donc, nous en convenons, la sévérité des expressions des pères de cette époque sur les erreurs de la philosophie païenne. Le révérend père Ventura les rapporte avec triomphe : il en tire une démonstration, à ses yeux concluante, que l’église n’a jamais reconnu d’autre philosophie légitime que celle qui naquit plus tard dans ses écoles, et qui marche pas à pas à côté du dogme pour le commenter. Nous ne pensons pas qu’une lecture attentive de ce qu’on peut appeler la philosophie des premiers pères confirme en aucune manière une assertion aussi décidée. En proclamant très haut l’insuffisance, en flétrissant les erreurs de la philosophie païenne, les premiers pères ne l’ont cependant jamais enveloppée tout entière dans cette excommunication radicale que le révérend père d’aujourd’hui fait peser sur elle. Ils ne faisaient nulle difficulté de reconnaître et de réunir tous les lambeaux de vérité épars dans les écrits des philosophes. C’étaient autant d’armes qu’ils enlevaient à l’ennemi, autant de biens dans lesquels rentrait le propriétaire légitime. Fallait-il démontrer la sagesse des dogmes de l’unité de Dieu contre l’absurdité du polythéisme, les apologétiques éloquentes de Tertullien, de Minucius Félix, d’Arnobe, invoquaient sans rougir les démonstrations raisonnées de tant de sages païens, et Lactance ne craignait pas de dire aux persécuteurs du christianisme qu’ils n’auraient encore rien fait, si en même temps que l’Évangile ils n’anéantissaient pas les écrits de Cicéron. Puis venaient aussi les vues profondes de Platon sur la nature divine et ses pressentimens célestes sur l’immortalité de l’ame. Platon tient incontestablement une grande place dans cette première phase de la philosophie chrétienne : non pas que nous voulions lui rapporter, comme les incrédules l’ont fait souvent, l’origine d’aucun de nos dogmes chrétiens; à Dieu ne plaise que nous soyons coupable d’une telle hérésie contre l’histoire aussi bien que contre la foi! Mais, s’il n’a rien inventé de nos dogmes, il sert souvent à les commenter. Les pères emploient souvent la métaphysique platonicienne pour donner aux esprits curieux quelque compréhension des mystères, quelque explication de l’inexplicable. Platon inspire d’abord et puis égare Origène, le plus grand philosophe chrétien de ces premiers temps. Le père Ventura cite quelque part une expression de saint Irénée, qui appelle Platon l’assaisonnement de toutes les hérésies : condimentum omnium hœreseum; mais les hérésies d’une époque ne sont que les exagérations de ses tendances, comme les fautes d’un homme ne sont que les excès de son caractère, et l’expression originale d’Irénée ne fait qu’attester la grande influence qu’exerçaient sur les esprits chrétiens de cet âge les écrits et les idées