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Le sang des martyrs avait souillé la base des plus beaux édifices de Rome, la fumée de leur bûcher en avait noirci la cime.

Aussi, lorsque les progrès de la vérité, aidée par les péripéties de la politique, eurent enfin rendu l’église victorieuse avec Constantin, quelle belle occasion, que d’excellentes raisons pour détruire toute une civilisation profane et sacrilège! Si, dès le lendemain de son triomphe, l’église était entrée en guerre ouverte avec la société romaine, si elle avait mis le feu à ses monumens, brisé ses images, incendié ses bibliothèques, bouleversé ses lois, elle n’aurait fait qu’un acte de justes représailles, et elle aurait pu donner le prétexte qu’elle anéantissait ainsi le berceau et le foyer de l’erreur. Les moyens ne lui manquaient pas plus que les motifs pour exécuter cette justice sommaire. Sans qu’elle eût eu besoin de faire appel au zèle des populations converties, les forêts de la Germanie tenaient en réserve de rudes auxiliaires tout prêts à faire la tâche à leurs frais. L’empire était déjà blessé à mort par l’anarchie intérieure et par le débordement des Barbares; l’église n’avait pas besoin de lui porter elle-même le coup fatal; elle n’avait qu’à le laisser périr.

Ainsi auraient fait sans doute les sectaires du seizième siècle et les révolutionnaires de notre âge; ainsi auraient probablement conseillé d’agir, pour le plus grand bien du monde à venir, de fervens sectateurs de l’abbé Gaume : ainsi ne fit point la mère prudente et tendre du genre humain. Elle considéra cette civilisation romaine qui lui était livrée non point comme le présent maudit du génie du mal, mais comme l’œuvre mélangée de l’humanité. Là, comme dans tout ce qui émane de la créature déchue, durent se trouver perdus dans les nuages de l’erreur des rayons de lumière qu’il ne fallait pas éteindre, mais rappeler promptement dans le foyer toujours ardent de la vérité éternelle. S’établissant paisiblement au sein de la société impériale, siégeant à Rome même, pendant que Constantin effrayé n’osait y braver les vieux génies de la république, l’église ne détruisit rien, adopta tout, corrigeant, réformant par une influence insensible, mettant le signe vainqueur de la croix sur tous les monumens, et faisant circuler, par une chaleur pénétrante, l’inspiration chrétienne dans toutes lois. Le quatrième siècle de l’église n’est pas remarquable seulement par les hommes de génie qui l’ont illustré. Ce qu’on ne peut se lasser d’y admirer, et ce que je ne serais pas surpris qu’un historien voulût un jour étudier de plus près, c’est ce travail lent que la religion chrétienne y fit subir à la civilisation païenne pour l’épurer à la fois et l’absorber. Toutes les formes de cette civilisation demeurent, l’esprit seul en est changé. C’est la même langue, le même gouvernement, les mêmes procédés de raisonnement et d’action. Un nouveau souffle anime seulement tous ces membres rajeunis. Rien n’a péri; tout est