vérité, nous le savons, se passe d’être populaire, et l’Évangile brave volontiers la défaveur publique. Mais voici ce qui nous préoccupe. En considérant de sang-froid l’état de la société moderne en France et même en Europe, il est impossible de méconnaître qu’elle est, en tout point, l’opposé de la société du moyen-âge. Mœurs, lois, idées, rien n’est commun entre le XIIIe et le XIXe siècle; toute chaîne de tradition a été rompue, tout effort d’assimilation serait chimérique. Établir par conséquent, comme un article de foi, la solidarité complète, L’identité absolue du moyen-âge et du catholicisme, c’est prononcer sur l’état présent du monde un anathème sans rémission, c’est demander à la société moderne d’abjurer, non pas seulement ses erreurs, mais toutes ses idées sans distinction, de faire pénitence non-seulement de ses fautes, mais de tous ses actes en général, de sortir en un mot d’elle-même comme d’une terre de malédiction, d’extirper jusqu’aux racines de sa propre nature.
Il n’y a pas moyen d’échapper à cette conséquence. Si la société du moyen-âge est la société catholique par excellence, comme la société actuelle en diffère toto cœlo, totâ terrâ, il faut prononcer qu’elle est radicalement, essentiellement anti-catholique, et que ce qu’elle a de mieux à faire, c’est de s’anéantir, si elle ne peut pas se transformer. Dès-lors l’œuvre de la propagande catholique change entièrement de caractère. Elle n’apporte plus la paix, mais la guerre, — non pas cette guerre éternelle et toute morale que l’Évangile déclare aux passions et aux vices de l’humanité, et dont la palme ne se gagne pas en ce monde, mais cette guerre parfois sanglante et toujours haineuse, avide de succès présens et d’avantages temporels, que se livrent entre eux les divers systèmes et les divers partis humains. La religion n’apparaît plus comme la conciliatrice d’une société divisée, étrangère à ses différens intérêts et ne lui parlant que de ses devoirs communs : elle porte elle-même le drapeau d’une transformation et, qui pis est, d’une restauration sociale.
L’énormité d’une telle entreprise n’est pas même encore ce qui nous effraie. Quelque grande qu’elle puisse être, elle ne saurait être au-dessus ni de la taille ni des forces d’une religion divine. Le christianisme fait l’impossible par habitude, et le surnaturel est sa nature. Aussi, s’il entrait dans les vues de la Providence de transformer brusquement, par l’intermédiaire de l’église catholique, toutes les conditions de la société moderne, et d’y faire refleurir les habitudes et les idées d’un autre âge, nul doute qu’elle n’en pût très bien venir à bout; mais si, au lieu d’être une volonté divine, c’était là une fantaisie purement humaine? Si la transformation rapide et préméditée d’un état de mœurs tout entier était un de ces miracles qu’il ne plaît jamais à Dieu d’accomplir, un de ces signes que demandent les