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geoises sans cependant se confondre encore avec elles, entretenait chez toutes une sorte d’émulation de bonne tenue et de beau langage qui, de nos jours, a complètement disparu. — Cette idée, je la trouve confirmée par Beaumarchais lui-même dans une lettre inédite qu’il écrit à son père, de Madrid, en 1765, et dans laquelle il dit : « Les bourgeoises de Madrid sont les plus sottes créatures de l’univers, bien différentes de chez nous, où le bon air et le bel esprit ont gagné tous les états. »

Dans sa propre maison, on trouverait en effet une preuve de cette tendance universelle au XVIIIe siècle vers le bon air et le bel esprit. Faisons d’abord connaissance avec son père.

André-Charles Caron était originaire de l’ancienne province de Brie ; il naquit le 26 avril 1698, près de Meaux, à Lizy-sur-Ourcq, petit bourg qui est devenu aujourd’hui une petite ville du département de Seine-et-Marne. Il était fils de Daniel Caron, horloger à Lizy, et de Marie Fortain, tous deux protestans calvinistes. — Sa famille était nombreuse et pauvre, à en juger par les documens qui constatent son état civil. On sait que depuis la révocation de l’édit de Nantes, en 1685, toute existence légale était refusée aux protestans ; — indépendamment des persécutions exercées contre ceux qui faisaient acte de religion, leurs mariages et leurs enfans étaient tenus pour illégitimes. — Une des églises protestantes qui résistèrent le plus à ce régime d’oppression fut l’église réformée de Brie. Elle ne céda ni à l’éloquence de Bossuet ni aux dragonnades[1], et les protestans continuèrent à faire bénir leurs mariages au désert, c’est-à-dire dans un asile écarté au fond des bois, par le ministère de quelque pasteur errant et fugitif. C’est ainsi sans doute que furent mariés à Lizy, en 1695, le grand-père et la grand’mère de Beaumarchais, et c’est peut-être de la main d’un de ces pasteurs fugitifs que, sur un petit cahier grossier recouvert en parchemin, que j’ai sous les yeux, et qui ressemble à un livre de cuisine, fut écrite la nomenclature des enfans nés de Daniel Caron et de Marie Fortain.

Ces humbles archives d’une famille protestante commencent par cette pieuse formule : « Nostre ayde et commencement soit au nom de Dieu qui a fait toutes choses. Amen (1695). » Suit la nomenclature de quatorze enfans, dont plusieurs moururent en bas âge et dont André-Charles Caron est le quatrième.

Beaumarchais, dans une requête au roi, se dit neveu du côté paternel d’un oncle mort capitaine de grenadiers avec la croix de Saint-Louis, cousin, du même côté, d’un des directeurs de la compagnie des Indes et d’un secrétaire du roi, ce qui semblerait indiquer que sa famille

  1. Voir Histoire des Églises du Désert chez les Protestans de France, par Charles Coquerel. t. II, p. 513.