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BEAUMARCHAIS, SA VIE ET SON TEMPS.

de son style, en un mot tous les élémens dont se compose sa physionomie littéraire.


I. — NAISSANCE DE BEAUMARCHAIS. — SA FAMILLE. — UN INTÉRIEUR DE PETITE BOURGEOISIE AU XVIIIe SIÈCLE.

Pierre-Augustin Caron, qui prit à vingt-cinq ans le nom de Beaumarchais, naquit le 24 janvier 1732, dans une boutique d’horloger située rue Saint-Denis, presque en face de la rue de la Féronnerie, non loin de cette maison du pilier des Halles où l’on a cru longtemps à tort que Molière avait reçu le jour. L’erreur est aujourd’hui démontrée ; mais si ce quartier Saint-Denis, qui ne passe pas pour un foyer de lumières et qui jouit un peu, dans Paris, de la réputation qu’avait en Grèce la Béotie, doit renoncer à l’honneur d’avoir vu naître Molière, il peut, jusqu’à un certain point, s’en consoler, puisqu’il a le droit de revendiquer comme des nationaux, non-seulement Regnard, notre premier poète comique après Molière, non-seulement l’auteur du Mariage de Figaro, mais encore M. Scribe, né aussi en pleine rue Saint-Denis, dans une boutique de marchand de soieries, et Béranger, né tout à côté, rue Montorgueil, dans une boutique de tailleur.

Quand on sait que Beaumarchais, à vingt-quatre ans, se trouvait encore, comme il dit dans une lettre inédite, entre quatre vitrages, et qu’il a passé presque sans transition de sa boutique d’horloger à la vie de cour, à une sorte d’intimité avec des princes et des princesses du sang royal, et que, dans une position si nouvelle pour lui, il a fait assez bonne figure pour se créer des amis et beaucoup d’ennemis, quand on sait cela, on éprouve le besoin de s’enquérir des influences de famille et d’éducation qui ont pu, jusqu’à un certain point, le préparer à ce rôle inattendu.

Sa famille était des plus modestes : aussi n’est-ce pas sans une sorte d’étonnement qu’en pénétrant dans cet intérieur de petite bourgeoisie, on y rencontre des habitudes, des manières, une culture d’esprit bien supérieures à ce qu’on attendait. Le progrès de la bourgeoisie au XVIIIe siècle ne m’a jamais paru plus frappant qu’en compulsant ces obscures archives de la famille d’un mince horloger de la rue Saint-Denis. On jugera tout à l’heure si aujourd’hui, dans une sphère sociale exactement semblable, le niveau de culture intellectuelle et mondaine n’a pas plutôt baissé que grandi. Cette infériorité de culture dans la petite bourgeoisie actuelle, très compatible d’ailleurs avec un progrès général dans les masses, s’expliquerait peut-être, surtout pour Paris, par cette considération, qu’au XVIIIe siècle l’existence d’une aristocratie de cour très raffinée qui se mêlait de plus en plus aux classes bour-