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POÉSIES.


I. — LE FRUIT DE LA DOULEUR.


Sur le versant pierreux d’un plateau du midi,
Respirant le soleil d’un hiver attiédi,
J’errais en longs détours ; les collines désertes
D’arbustes odorans étaient au loin couvertes.
Promeneur attentif, au plus humble arbrisseau
J’évitais en marchant de blesser un rameau.
J’avais déjà suivi tous ces sentiers des landes
Sans briser une tige, une feuille aux lavandes ;
Aussi, de leurs bouquets intacts et respectés,
Nul parfum ne montait dans l’air, à mes côtés.

À travers champs, bientôt, dans ma course plus prompte,
Je m’élance, et des fleurs je ne tiens plus de compte ;
Je marche au plus touffu des arbustes meurtris.
Et disperse à grands pas leurs feuilles en débris.
Alors jaillit, alors le vent à longs flots roule
Un doux torrent d’odeurs des plantes que je foule.
Et plus mon pied rapide, au penchant du coteau,
À coups précipités frappe comme un fléau.
Plus j’écrase, à pas lourds, feuilles, rameaux et tige,
Plus l’essaim des parfums rapidement voltige,
Et plus épais, dans l’air que j’entraîne en courant,
S’amasse et monte au loin un nuage odorant.

Vous, mon Dieu, parmi nous quand nos âmes sont mûres,
Vous cheminez ainsi, malgré nos vains murmures.
Faisant votre moisson ; et, lorsque vous voulez,
Respirer les parfums dans nos cœurs recelés,
La douleur vous précède ; elle vient, sans colère.
Ainsi que le coursier foulant le blé sur l’aire.
Et brise sous ses pieds, comme moi ces rameaux,
Nos fleurs et nos fruits mûrs et nos espoirs nouveaux.