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BEAUMARCHAIS, SA VIE ET SON TEMPS.

ques jours dans une maison de correction comme un jeune mauvais sujet ; ce qui ne l’empêche pas de figurer à la même époque comme patron des gens de lettres auprès des ministres, d’avoir des rapports très suivis comme financier, et même à titre d’agent et de conseiller important, avec MM. de Sartines, de Maurepas, de Vergennes, de Necker, de Calonne, d’être courtisé par une foule de grands seigneurs qui lui empruntent de l’argent et oublient souvent de le rendre, de protéger même des princes auprès de l’archevêque de Paris[1], et de contribuer puissamment, mais bien involontairement, on le verra, à la destruction de la monarchie.

Persécuté sous la république comme aristocrate, après avoir été emprisonné comme factieux sous la royauté, l’ex-agent de Louis XVI n’en devient pas moins malgré lui l’agent et le fournisseur du comité de salut public. Cette mission de fournisseur, qui devait le sauver, met sa vie en péril et porte le dernier coup à sa fortune. Né pauvre, enrichi et ruiné deux ou trois fois, il voit tous ses biens mis au pillage, et, après avoir possédé 150,000 francs de rente, caché sous un faux nom dans un grenier à Hambourg, le vieux Beaumarchais en est réduit un instant à ce degré de misère, qu’il met, dit-il, de côté une allumette pour la faire servir deux fois[2].

Rentré dans son pays à soixante-cinq ans, malade, sourd, mais toujours infatigable, Beaumarchais, en même temps qu’il se mêle avec une vivacité juvénile de toutes les affaires du moment, en même temps qu’il surveille la mise en scène de son dernier drame (la Mère coupable), ramasse courageusement les débris de sa fortune, et recommence, un pied dans la tombe, tout le travail de sa vie, se débat au milieu d’une légion de créanciers, poursuit une légion de débiteurs, et meurt en plaidant à la fois contre la république française et contre la république des États-Unis.

Cet aperçu d’une existence étrange que je me propose de raconter en détail suffira, je pense, pour donner une idée de l’intérêt multiple qui s’y attache. Ce n’est pas seulement parce qu’elle est romanesque et pleine de vicissitudes, c’est aussi et surtout parce qu’elle est remplie de contrastes et d’incohérences que la carrière de Beaumarchais vaut la

  1. Il s’agit ici du prince de Nassau-Siegen, personnage fort romanesque, qui avait épousé une polonaise divorcée, et qui demandait la légitimation de son mariage à l’archevêque de Paris par l’intercession de Beaumarchais.
  2. Voici en effet ce que je lis sur des feuilles détachées écrites par Beaumarchais, à Hambourg, en 1794 : « Dans mon malheur, je suis devenu économe au point d’éteindre une allumette et de la garder pour m’en servir deux fois. Je ne m’en suis aperçu que par réflexion, après y avoir été amené par la misère de ma situation. Ceci ne vaut sa remarque que parce que je suis tombé subitement de 150,000 livres de rentes à l’état de manquer de tout. »