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BEAUMARCHAIS, SA VIE ET SON TEMPS.

tice détaillée sur la vie de son ami. Cette notice forme un manuscrit de 419 pages, divisé en quatre parties que j’ai entre les mains, et qui est intitulé : Histoire de Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, pour servir à l’histoire littéraire, commerciale et politique de son temps. Ce travail devait figurer en tête de l’édition des œuvres de Beaumarchais, publiée par le même Gudin en 1809[1] ; mais, après l’avoir lue, la veuve de Beaumarchais, personne très distinguée sous tous les rapports, paraît s’être opposée à la publication de cette biographie pour des motifs que je trouve indiqués dans une note écrite de sa main. Mme de Beaumarchais remarque avec raison qu’au lieu de se contenter de raconter la vie de son ami, Gudin, vieux philosophe du XVIIIe siècle qui n’a rien appris et rien oublié, mêle à son récit une foule de déclamations anti-religieuses de son crû qui ont perdu toute saveur en 1809 ; qu’il s’expose ainsi, sans le vouloir, à compromettre non-seulement la mémoire de Beaumarchais, mais encore à troubler le repos de sa famille, que la critique, ajoute-t-elle, voudra peut-être rendre responsable des opinions de la secte philosophique, secte si décriée aujourd’hui. Gudin, qui était un très bon homme (philosophie à part) et qui était très lié avec Mme de Beaumarchais, fit à ces considérations le sacrifice de son travail ; il se contenta d’en extraire un chapitre sur les drames et les comédies de son ami qu’il plaça à la fin du septième volume de l’édition de 1809, et son Histoire de Beaumarchais eut le sort de son Histoire de France : elle resta en manuscrit. Ce manuscrit n’est pas toujours très exact, surtout pour la première partie de la vie de Beaumarchais, que Gudin ne connaissait point par lui-même, et pour laquelle il ne paraît pas avoir consulté les documens que j’ai

    lait du désir de venir embrasser l’homme qu’il aimait le plus au monde ; mais bien qu’il possédât un petit patrimoine, la rigueur du temps l’ayant privé de son revenu ordinaire, il se trouvait sans argent pour faire le voyage. Beaumarchais, quoique très appauvri lui-même, s’empresse de lui envoyer cet argent. Gudin part, et, après avoir satisfait le besoin de son cœur, reprend le chemin de sa retraite. Un mois plus tard, je le vois renvoyer scrupuleusement à Beaumarchais l’argent prêté. Ce dernier met quelque hésitation à l’accepter ; mais Gudin insiste de l’air d’un homme accoutumé à ne pas permettre qu’on prenne sur lui aucun avantage de ce genre. Que dire après cela de l’idée ingénieuse d’un écrivain de nos jours qui, à ce qu’on assure, a découvert que Beaumarchais avait exploité la pauvreté de Gudin en lui faisant rédiger la plupart des ouvrages publiés sous son nom ? Indépendamment des nombreuses impossibilités que renferme cette idée, il suffit, pour la détruire, de lire Gudin, dont la prose ressemble à celle de Beaumarchais à peu près comme un bœuf ressemble à un cheval fringant.

  1. C’est cette édition, faite par Gudin en 1809, en sept volumes in-8o, qui a servi de type à toutes les éditions successives de Beaumarchais ; elle est loin d’être complète : non-seulement Gudin a omis ou n’a point connu plusieurs morceaux littéraires de Beaumarchais, mais des documens historiques très intéressans ont été supprimés par lui sous l’influence des circonstances politiques du moment, et, par le même motif, sur la masse de lettres laissées par Beaumarchais, il n’en a publié qu’un très petit nombre qui ne sont pas toujours les plus dignes d’intérêt.