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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

infligeant au duc de Hanovre le supplice d’un grand air d’opéra. » Là- dessus Aurore se remit au clavecin, et, d’une voix vibrante et limpide, entonna un récitatif pompeux auquel succéda bientôt une phrase en style pastoral qui ravit d’aise l’assemblée. Ernest-Auguste, qui détestait les roulades, trouva parfaites les vocalisations de l’adorable cantatrice ; il ne savait qu’admirer davantage du charme exquis de cette musique ou de son incomparable exécution. « En vérité, madame, vous m’avez converti, s’écria-t-il enfin, et je déclare qu’à dater de ce jour l’école d’Italie me peut compter au nombre de ses plus chaleureux partisans ; mais, je vous prie, de quel maître est la composition que nous venons d’entendre ? — Monseigneur, répondit Mlle de Kœnigsmark en rougissant, il ne saurait être ici question d’un pareil terme, et l’auteur de cette ariette a tout au plus des droits au simple titre de dilettante. — Pardon, altesse, interrompit alors le feld-maréchal de Bielke ; mais l’auteur de cette ariette n’est autre que l’auteur des Filles de Cécrops, c’est-à-dire mademoiselle, dont mon orgueil de Suédois me fait un devoir de trahir le secret. — Mais c’est donc une véritable magicienne que cette petite créature ! répliqua l’électeur enchanté. Quand je vous disais, ma mignonne, que les grâces et les muses s’étaient donné rendez-vous autour de votre berceau ! »

Succès évanouis, règne d’un jour, éphémères triomphes dont le souvenir même allait s’affaiblissant ! quelle gloire n’a son déclin ? et qu’il est triste parfois, qu’il est mélancolique et sombre l’horizon où s’éteignent ces astres frivoles applaudis à leur naissance, et qu’à leur apogée un si fastueux éclat environne ! Survivre à sa jeunesse, à sa faveur, à sa fortune, s’attacher, se cramponner quand même à tout ce qui vous quitte, du premier rôle passer au second plutôt que de disparaître courageusement de la scène, sacrifier au bruit, à je ne sais quel besoin dévorant d’occuper le monde, le repos et la dignité de sa vie, vouloir épuiser toutes les coquetteries, les grandes et les moindres, et quand l’âge vous chasse d’une frivolité se réfugier dans une autre comme l’oiseau que traque l’incendie et qui va de branche en branche jusqu’à ce que la flamme, ayant tout consumé, le consume à son tour, — tel est, la plupart du temps, le destin de ces belles pécheresses à qui l’énergie a manqué pour mettre, comme Mlle de La Vallière, un mur d’airain, une infranchissable barrière entre ce qu’on appelle leur grandeur et leur chute. La retraite aux Carmélites est encore ce qu’il y a de mieux pour ces existences exceptionnelles. Lorsqu’elle jeta les yeux sur l’abbaye de Quedlinbourg, Aurore de Kœnigsmark était dans le vrai de sa situation. Seulement il aurait fallu y entrer, ce dont elle se garda bien. Il était dans la nature de cette femme légère, inconsidérée, un peu pédante, de prendre tout par le côté mondain, même le cloître. Ce pédantisme dans la frivolité,