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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

tarda pas de recevoir celle de sa belle-fille. Cette fois encore, d’amères déceptions devaient éprouver le cœur de la pauvre mère. La comtesse de Saxe en fît tant, à ce qu’on assure, et garda si peu de retenue dans ses intrigues, qu’elle souleva l’opinion publique de la contrée et porta le scandale au sein d’une communauté qui n’a jamais passé pour être très sévère. Cette personne d’impérieuse humeur et de mœurs détestables avait été fort recherchée d’abord à cause de ses richesses par le jeune comte, qui ne tarda pas à la répudier, et ne l’aurait jamais épousée sans un ordre exprès du roi son père.

Dans son chapitre de Quedlinbourg, la comtesse de Kœnigsmark était assiégée par des soucis d’un autre genre. Elle avait, nous l’avons dit, brigué le rang d’abbesse : elle ne le fut jamais, et partant n’eut jamais droit au titre de princesse du saint-empire, qu’on lui donnait d’ailleurs par courtoisie, ce titre étant alors une des nombreuses prérogatives de l’illustre dignité. Lorsque mourut la princesse de Saxe-Weimar, ce fut une princesse de Holstein-Gottorp qui lui succéda. Il faut avouer aussi que l’aimable comtesse semblait prendre à tâche de provoquer tous les mauvais vouloirs du conclave féminin, lequel, eût-il été on ne peut mieux disposé (ce qui certes n’était guère), aurait fini par se lasser des perpétuelles allées et venues de la trop mondaine cénobite. On devine quelle étrange religieuse devait faire cette personne élégante et dissipée, qui ne cherchait plus qu’une chose : s’étourdir par l’activité, les démarches, le mouvement, l’intrigue, sur les souvenirs et les regrets du passé, sur les ennuis et les misères du présent. Été comme hiver, elle courait la poste, se rappelant à Dresde qu’elle avait un mot à dire au roi de Prusse, à Berlin qu’un procès réclamait immédiatement sa présence à Stockholm. « De grâce, madame, lui écrivait le roi de Prusse, qui lui marquait beaucoup de bienveillance, de grâce, rendez-vous à votre poste. J’apprends qu’on se chamaille à Quedlinbourg, et vous n’y êtes pas pour rétablir l’ordre et mettre fin à ces discordes par l’autorité de votre présence. »

Hélas ! c’était tout autre chose que l’ordre qu’elle ramenait d’ordinaire en sa pieuse résidence, lorsque d’aventure il lui prenait fantaisie d’y venir faire quelque séjour. Alors de tous les points de la Saxe et de la Prusse vous eussiez vu accourir les galans visiteurs. Au grand scandale des nobles recluses, l’abbaye se transformait en cour d’amour. On y menait la vie de château la plus aimable et la plus évaporée. À Dieu ne plaise que le beau langage y fût oublié ! c’était l’hôtel de Rambouillet transporté au fond des montagnes du Harz, mais un hôtel de Rambouillet moins solennel, moins constamment académique, et d’où Julie d’Angennes et le duc de Montausier savaient sortir à temps pour laisser la place libre aux violons, car au bureau d’esprit succédait volontiers le thé dansant. On voit que chez Mme Aurore de Kœnigsmark