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prince qui commençait à devenir inamusable et dont l’ame égoïste se fermait chaque jour davantage aux sentimens purement affectueux. Les intérêts de son fils passionnaient seuls désormais la tendre mère, qui dut, après tant de démarches et de soins, se contenter d’obtenir du royal père, incessamment porté à se dédire et à temporiser, la dignité de comte du saint-empire ou le titre de comte de Saxe en faveur d’un enfant qu’elle adorait. Là s’arrêtèrent les munificences paternelles de Frédéric-Auguste, car de l’argent il n’en pouvait donner, ses propres ressources étant épuisées. Une armée de voraces concubines s’attachait partout aux pas de ce prince, qui ne remit sur sa tête la couronne de Pologne, dont l’avait un moment dépossédé Charles XII, que pour faire de Varsovie une nouvelle capitale de ses licencieux déréglemens et de ses ruineuses fredaines. À la comtesse Lubomirsky avait succédé la fille du grand-maréchal Bielinsky, cette jolie et rouée comtesse de Denhoff, qui chantait si bien la partie de Sangaride dans Atys, et, regardant sans cesse le roi, lui adressait avec des regards languissans toutes les paroles tendres de son rôle ; ce qui n’empêchait point la favorite de l’électeur de Saxe de mener à Dresde un train d’impératrice pendant l’absence du roi de Pologne. « Comme votre majesté a deux maisons dont l’une est en Saxe et l’autre en Pologne, il serait juste aussi, pour que tout fût complet, qu’elle eût une maîtresse dans chacun de ses états. Par là elle satisferait les deux nations. Maintenant les polonais crient, parce que votre majesté a une maîtresse saxonne ; si vous l’abandonniez, sire, pour prendre une maîtresse polonaise, les Saxons se plaindraient. Si vous aimiez six mois en Pologne et six mois en Saxe, les deux nations seraient satisfaites. » Ainsi parlait au roi Auguste M. le comte de Vitzthum, son conseiller, et jamais, on peut le dire, prince n’écouta d’une oreille plus docile les avis de son ministre.

Il est facile d’imaginer les belles complications qu’un pareil système devait amener dans les finances d’un souverain, d’autant que, s’il faut en croire les chroniques, la galanterie et la prodigalité des aimables Polonaises laissaient de beaucoup derrière elles toutes les merveilles qu’on avait pu voir se réaliser en ce genre au pays de Saxe. On n’entendait parler que de bals, de carrousels, de promenades sur la Vistule ; jamais Varsovie n’avait été si brillant. Tantôt, dans un souper, le roi présentait à sa maîtresse une cassette de vermeil dans laquelle il y avait toute sorte de bijoux et dans le fond le diplôme de l’empereur qui la déclarait princesse de l’empire, tantôt il bâtissait pour la favorite régnante un palais « où il y avait des appartemens pour toutes les saisons : les uns, revêtus de marbre, étaient pour l’été ; les autres, lambrissés, parquetés et recouverts de la plus belle laque de la Chine, étaient pour l’hiver. Il y mettait pour trois cent mille écus de meubles, et ceux qui entraient croyaient voir un enchantement : ce n’étaient que vaisselle de