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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

III.

L’ancien cloître de Quedlinbourg, devenu chapitre protestant, avait toujours eu pour abbesses des princesses de maison souveraine. Aurore de Kœnigsmark se complut à l’idée d’être la première dame de qualité présidant à la sérénissime compagnie. La chose cependant n’était point si facile, et les révérendes chanoinesses poussèrent les hauts cris en apprenant que la favorite disgraciée osait prétendre à prendre rang dans leur congrégation. L’abbesse alors en fonctions était une princesse de Saxe-Weimar, du nom d’Anne-Dorothée. La résistance que l’illustre dame opposa à la candidature de Mlle de Kœnigsmark fut d’abord des plus vives ; peu à peu néanmoins les agrémens de la ravissante pécheresse amollirent ce cœur de roc, et Aurore fut admise à titre de prieure, avec promesse d’avoir un jour la survivance de Mlle Anne-Dorothée. Sur ces entrefaites, Frédéric-Auguste vendit au roi de Prusse le chapitre de Quedlinbourg. Grande fut l’émotion causée par cet événement dans le pieux domaine. Aurore profita d’un premier moment d’agitation pour se mettre bien avec le pouvoir nouveau et se concilier à la cour de Prusse des amis et des protecteurs. Que de ressources d’esprit, d’activité, de patience, la noble femme eut à déployer en cette occasion, livrée qu’elle était à sa seule énergie, à son seul courage par l’indifférence de son ingrat amant, enchaîné alors au char de la comtesse d’Esterlé, espèce de Pompadour autrichienne à laquelle il prodiguait ses trésors et ses diamans ! Ici commence pour Mlle de Kœnigsmark une période de voyages et de courses continuelles à travers l’Europe. Jamais on ne la trouve six mois à la même place. De Quedlinbourg elle va à Berlin, de Berlin à Stockholm, de Stockholm à Hambourg, où l’appellent les intérêts de sa fortune personnelle très compromise ; puis tout à coup elle arrive à Dresde, pour rédiger à la hâte le programme d’une fête de cour et consoler la jeune électrice, dont les larmes ne tarissent pas et qui l’accueille en s’écriant : « Ah ! ma chère, de votre temps que j’étais plus heureuse ! »

À tant de soins et de travaux se joignent les soucis maternels, les préoccupations que lui donne l’éducation d’un fils qu’elle adore et dont, en entrant au chapitre de Quedlinbourg, elle a dû se séparer pour l’envoyer à La Haye poursuivre ses études. J’allais oublier de parler des embarras d’argent. De l’immense fortune des Kœnigsmark, il ne restait plus vestige à cette époque. Les confiscations, les procès aventureux, les dettes du frère, qu’il fallut payer, avaient fini par réduire à néant tant de trésors. Notons aussi que l’aimable Suédoise était de sa nature fort portée à la dissipation : on désapprenait l’économie et l’ordre à l’école des munificences et des prodigalités folles de l’électeur Frédéric-Auguste. Outrageusement volée par ses intendans et