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MADEMOISELLE DE KŒNIGSMARK.

Mlle de Kœnigsmark se trouva fort ébranlée après la lecture de cette lettre, elle hésitait entre la douceur et la sévérité ; mais enfin ce fatal ascendant qui l’enchaînait malgré elle la porta à faire cette réponse : « Il convient si peu, monseigneur, à une particulière de juger des souverains, que je ne sais quel parti prendre à l’égard de votre altesse électorale. On ne condamne pas aisément ceux qu’on estime ; à plus forte raison, on ne veut point leur mort. Jugez, monseigneur, si je dois désirer la vôtre, moi qui joint à l’estime beaucoup de reconnaissance et de respect. »

Long-temps encore Mlle de Kœnigsmark opposa l’orgueil de sa naissance et de sa vertu aux empressemens du fougueux Achille, aux magnifiques séductions du demi-dieu. Elle succomba cependant ; mais sa chute fut d’un noble cœur qui croit à la sainteté de l’amour et, se donnant une fois, prend vis-à-vis de lui l’engagement de rester jusqu’à la mort fidèle à ce premier et suprême sacrifice. Une fois maîtresse avouée du prince, une fois la favorite en titre, elle sortie d’une race illustre et qui dans ses veines avait du sang de maison souveraine, elle releva superbement la tête et porta cette couronne flétrissante avec la hauteur d’une impératrice. Son esprit ferme et résolu, oubliant la déchéance de la femme, sembla n’entrevoir plus que les avantages d’une situation qui lui permettait d’employer pour le bien un crédit omnipotent. Auguste, si faible qu’il fût, si peu de sens qu’il possédât à l’endroit des choses de l’intelligence, n’en dut pas moins reconnaître qu’en portant dans l’effervescence d’un caprice passionné atteinte à l’honneur de cette femme, il l’avait subjuguée momentanément, mais non soumise.

Un jour qui mériterait d’avoir sa place dans les fastes de l’amour, et dont les annales galantes du château de Moritzbourg[1] garderont l’éternelle mémoire, fut celui où l’aimable et royal jeune prince, environné de l’éclat et de la pompe de sa cour, conduisit en triomphateur à la résidence d’été des souverains de la Saxe sa beauté prête à rendre les armes. Le matin, avant de partir, son altesse envoya à Mlle de Kœnigsmark un habit d’une richesse extraordinaire, ainsi qu’une garniture de diamans des plus splendides[2]. Mme de Lewenhaupt ne fut point oubliée, et les présens qu’elle reçut, quoique de beaucoup inférieurs à ceux destinés à sa sœur, furent magnifiques. Ensuite, sans trop s’embarrasser, faut-il le dire, de l’état larmoyant de l’électrice délaissée, toute la cour se mit en route pour Moritzbourg. C’était par une belle matinée de printemps invitante et radieuse. L’air embaumé des parfums de l’aubépine et de l’acacia retentissait des chants des

  1. Pœllnitz, Denkwürdigkeiten, Amsterdam, 1728.
  2. Sternberg, Die Frauen des achtzehnten Jahrhunderts ; Leipzig, Brockhaus.