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qui ne peuvent que diminuer ma reconnaissance et la haute estime que j’ai conçue pour sa personne.

Après ces paroles, ayant appelé sa sœur la comtesse de Lewenhaupt :

— Amélie, lui dit-elle, l’électeur me fait des questions touchant la cour de Suède auxquelles vous êtes en état de répondre mieux que moi.

Le trouble et l’embarras de l’électeur étaient au-delà de tout ce qu’on peut imaginer ; son altesse adressa en balbutiant deux ou trois questions à Mlle de Lewenhaupt, puis se retira dans ses appartemens fort mécontente. Resté seul avec son favori Beichling, Frédéric-Auguste lui exprima son désespoir d’adorer une ingrate et de sentir qu’il ne pouvait cesser de l’aimer. Ce que voyant, M. de Beichling s’efforça de le rassurer sur ses craintes.

— Faut-il donc, monseigneur, que votre altesse électorale se chagrine de la sorte parce qu’une fille de qualité ne se rend point dès que vous lui parlez ? Mlle de Kœnigsmark vous a répondu comme il convenait à une personne bien née. Qu’auriez-vous dit vous-même, si elle se fût rendue à votre premier aveu ?

Le résultat de cette conversation entre le maître et le confident fut que l’électeur écrirait à Mlle de Kœnigsmark et que M. de Beichling porterait le billet.

Le lendemain donc, à l’heure de leur réception habituelle, le favori de Frédéric-Auguste se rendit chez les comtesses. On parlait poésie, Mlle de Kœnigsmark aimait beaucoup les vers ; M. de Beichling lui dit tout bas à l’oreille qu’il mourait d’envie de lui en montrer que l’électeur avait composés, mais que c’était une chose toute secrète. Elle se leva aussitôt et se retira avec lui dans une embrasure de fenêtre. Là, saisissant l’occasion favorable, il se mit à parler de la passion de son maître, dont il fit une peinture si vive et si touchante, que Mme de Kœnigsmark en parut attendrie. Alors Beichling lui présenta le billet ; elle le prit et, l’ayant mis dans sa poche, répondit qu’il en pouvait attendre la réponse. Elle rejoignit ensuite la compagnie ; mais, quelques momens après, elle passa dans sa chambre et y lut le billet de l’électeur, lequel était conçu en ces propres termes : « Si mon désespoir vous était connu, mademoiselle, je suis persuadé que, quelque haine que vous me portassiez, la bonté de votre cœur vous engagerait à m’accorder votre pitié. Oui, mademoiselle, on ne peut être plus affligé que je le suis d’avoir osé vous déclarer que je vous adore. Souffrez que j’aille expier ma faute à vos pieds, et, puisque vous voulez ma mort, ne me refusez pas la consolation d’entendre prononcer mon arrêt de votre bouche. L’état où je suis ne me permet pas de vous en dire davantage. Croyez-en Beichling, c’est un autre moi-même, il vous dira que ma vie et ma mort sont entre vos mains. »