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veuve et la fille de Beaumarchais ; son gendre et ses petits-fils, très dévoués à sa mémoire, mais plus occupés des affaires de ce monde que des questions de littérature et d’histoire qui se rattachent à son nom, avaient laissé dormir en paix tous ces papiers, attendant une occasion favorable de les mettre au jour[1]. Et c’est ainsi que des documens précieux, c’est ainsi que tous les souvenirs d’une carrière extraordinaire étaient restés enfouis dans une cellule abandonnée, dont l’aspect m’inspirait une mélancolie profonde. En troublant le sommeil de ce tas de papiers jaunis par le temps, écrits ou reçus autrefois, dans le feu de la colère ou de la joie, par un être duquel on peut dire ce que Mme de Staël a dit de Mirabeau, par un être si animé, si fortement en possession de la vie, il me semblait que je procédais à une exhumation ; il me semblait voir une de ces tombes du Père-Lachaise qui, vers la seconde ou troisième génération, se couvrent de ronces pour nous rappeler sans cesse l’oubli qui nous suit sur cette terre où nous passons si vite.

Cependant une partie de ces papiers était classée avec soin : c’était celle qui a trait aux affaires si nombreuses et si variées de Beaumarchais comme plaideur, négociant, armateur, fournisseur, entrepreneur, administrateur[2]. La partie des papiers offrant un intérêt biogra-

  1. M’étant occupé déjà de Beaumarchais à l’époque où j’ai eu l’honneur de suppléer pour la première fois M. Ampère dans la chaire de littérature française au Collége de France, j’avais depuis long-temps le projet de publier le résultat de mes études ; mais je n’avais à ma disposition que des documens plus ou moins connus, lorsqu’un hasard heureux m’a mis en rapports avec M. Delarue, gendre et petit-fils de l’auteur du Mariage de Figaro, qui ont bien voulu, avec une obligeance dont je ne saurais être assez reconnaissant me confier tous les papiers de leur beau-père et aïeul, en me laissant d’ailleurs une liberté entière de mise en œuvre et d’appréciation dont je n’abuserai pas, mais sans laquelle il me serait impossible d’écrire une page.
  2. Devenu riche et jouissant de la réputation d’un homme universel, Beaumarchais voyait affluer chez lui tous les plans, tous les projets qui s’élaboraient dans chaque cervelle, et qui venaient solliciter son concours. On peut s’en faire une idée par la nomenclature suivante qui n’embrasse que le contenu d’un seul carton.
    État des différens projets soumis aux lumières de M. de Beaumarchais.

    Projet d’emprunt pour M. le duc de Chartres. 1784. — Copie des lettres patentes qui autorisent M. le duc de Choiseul à emprunter 400,000 fr. 1783. — Projet d’un cours universel de législation criminelle. — Observation sur le moyen d’acquérir des terrains au Scioto. — Mémoire pour les propriétaires associés de l’enclos des Quinze-Vingts. — Notes sur l’existence civile des protestans en France. — Projet d’un emprunt également utile au roi et au public. — Prospectus d’un moulin à établir à Harfleur. — Projet de commerce de l’Inde par l’isthme de Suez. — Mémoires sur la conversion de la tourbe en charbon et avantages de cette découverte. — Mémoires tendant à donner au roi vingt vaisseaux de ligne et douze frégates pour servir à convoyer le commerce avec les colonies. — Mémoire sur la plantation de la rhubarbe. — Prospectus d’une opération de finance ou emprunt couvert en forme de loterie d’état. — Projet d’un bureau d’échange et d’une caisse d’accumulation. — Projet d’un pont à l’Arsenal. — Ce projet, aujourd’hui réalisé, est un de ceux qui occupèrent beaucoup la vieillesse de Beaumarchais.