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trente-trois ans ; tout son esprit, toute son imagination, toute sa gaieté, tout son entrain, toutes ses facultés, en un mot, sont à leur plus haut point de force et de développement. On a ici le Figaro et l’Almaviva du Barbier de Séville fondus ensemble avec une teinte de Grandisson et des nuances qui rappellent les plus célèbres spéculateurs de nos jours.


« Je suis mes affaires (écrit-il à son père) avec l’opiniâtreté que vous me connaissez ; mais tout ce qu’on entreprend entre Français et Espagnol est dur à la réussite : ce sera un beau détail que celui que j’aurai à vous faire lorsque je reviendrai me chauffer à votre feu.

« Je travaille, j’écris, je confère, je rédige, je représente, je combats : voilà ma vie. M. le marquis de Grimaldi, le plus galant homme qui ait jamais été à la tête d’un ministère, est ma belle passion ; ses procédés sont si francs, si nobles, que j’en suis enchanté. Renfermez ce que je vous mande dans un cercle fort étroit, et que cela ne passe pas les murs de votre petit réduit. Il me paraît qu’on est assez content ici du jour que j’ai répandu sur quelques questions épineuses, et j’ose vous promettre au moins que, si je ne réussis pas à tout, j’emporterai de ce pays l’estime de tous ceux à qui j’ai affaire. Conservez bien votre santé, et croyez que mon plus grand bonheur sera de vous faire jouir de tout le bien qui m’arrivera. »


Ailleurs Beaumarchais écrit :


« Je suis dans le plus beau de l’âge. Je n’aurai jamais plus de vigueur dans le génie : c’est à moi de travailler, à vous de vous reposer. Je parviendrai peut-être à vous libérer de vos engagemens : j’y attache la bénédiction de mes travaux. Je ne vous dis pas tout ici ; mais comptez que je ne m’endors pas sur le projet que j’ai toujours eu dans la tête, de vous mettre au pair, par état, de tout ce que vous voyez autour de vous. Vivez seulement, mon cher père, ayez soin de vous : le moment viendra où vous jouirez de votre vieillesse, à la manière des honnêtes gens, libre de dettes et content de vos enfans. Je suis occupé à faire nommer votre gendre ingénieur du roi avec appointemens. Il est devenu fort sage et travaille comme un cheval ; je le talonne avec l’aiguillon de l’honneur, mais il va bien sans éperons…… Si vous receviez des nouvelles de moi par quelque habitant de Madrid, on vous dirait : Votre fils s’amuse comme un roi ici ; il passe toutes ses soirées chez l’ambassadrice de Russie, chez milady Rochford ; il dîne quatre fois par semaine chez le commandant du génie, et court à six mules les alentours de Madrid ; puis il va au sitio real voir M. de Grimaldi et autres ministres. Il mange tous les jours chez l’ambassadeur de France, de sorte que ses voyages sont charmans et lui coûtent fort peu. Tout cela est vrai quant à l’agrément ; mais il ne faut pas que vos amis en concluent que je néglige mes affaires, parce que personne ne les a jamais faites que moi. C’est dans la bonne compagnie, pour laquelle je suis né, que je trouve mes moyens… et quand vous verrez les ouvrages sortis de ma plume, vous conviendrez que ce n’est pas marcher, mais courir à son objet. »


Quels sont donc les ouvrages qui sortent de la plume de Beaumar-