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rière ! Je vois d’un premier coup d’œil tout le bien que doit produire pour l’honneur de ma chère Lisette l’action vigoureuse que vous venez de faire en sa faveur. Oh ! mon ami, le beau présent de noce[1] pour elle que la déclaration de Clavico ! Si on doit juger de la cause par l’effet, il faut qu’il ait eu grand’peur : assurément, je ne voudrais pas pour l’empire de Mahom joint à celui de Trébisonde avoir fait et signé un pareil écrit : il vous couvre de gloire et lui de honte. Je reçois par même courrier deux lettres de ma charmante comtesse (la comtesse de Fuen-Clara), à moi et à Julie, si belles, si touchantes, si remplies d’expressions tendres pour moi et honorables pour vous, que vous n’aurez pas moins de plaisir que moi quand vous les lirez. Vous l’avez enchantée ; elle ne tarit pas sur le plaisir de vous connaître, sur l’envie de vous être utile et sur sa joie de voir comme tous les Espagnols approuvent et louent votre action avec le Clavico[2] ; elle n’en serait pas plus pénétrée quand vous lui appartiendriez. Je vous en prie, ne la négligez pas. Adieu, mon cher Beaumarchais, mon honneur, ma gloire, ma couronne, la joie de mon cœur ; reçois mille embrassemens du plus tendre de tous les pères et du meilleur de tes amis.

« Caron. »


Cette lettre prouve encore que Beaumarchais ne ment point dans son mémoire quand il se représente disant à Clavijo : « Je ne viens pas ici faire le personnage d’un frère de comédie qui veut que sa sœur se marie. » Il s’agissait en effet pour lui non pas d’imposer sa sœur à Clavijo le pistolet sur la gorge, mais de sauvegarder son honneur pour la marier ensuite à un Français nommé Durand, établi à Madrid. C’est ce qui résulte plus clairement du passage suivant d’une lettre de Beaumarchais en date du 15 août 1764, qui confirme aussi l’assertion du mémoire.


« J’ai trouvé ma sœur d’Espagne presque mariée avec Durand, car, dans le discrédit où la pauvre tête de fille croyait être tombée, le premier honnête homme qui s’en chargeait était un dieu pour elle. Mon arrivée ayant un peu rectifié ses idées et me trouvant, tant par mes propres vues que par les conseils de mon ambassadeur, dans le cas de préférer Clavijo que j’avais droit de croire bien revenu de ses égaremens par tout ce qu’il faisait pour m’en persuader, il a fallu d’abord user de moyens doux pour rompre un lien que l’espérance et l’habitude avaient cimenté de l’une et de l’autre part. »


On trouve ici la confirmation de cette partie du mémoire où Beaumarchais se montre séduit lui-même par Clavijo, devenant son ami et son avocat auprès de sa sœur. Dans d’autres lettres, Beaumarchais raconte les sourdes menées, la duplicité de l’Espagnol et la vengeance qu’il en tire, mêlée cependant d’hésitation. « Le fat de Clavijo, écrit-il,

  1. Il était question, à ce moment, pour la sœur, d’un autre mariage.
  2. On voit que, — si Beaumarchais s’est peint en beau, dix ans après, dans son mémoire, — le témoignage de la comtesse de Fuen-Clara, personne considérable et âgée, prouve que sa conduite avait eu beaucoup de succès à Madrid.