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Clavijo avait tout à coup faussé sa promesse, en portant ainsi une grave atteinte au repos et à la réputation de la sœur de Beaumarchais. C’est dans ces circonstances que ce dernier arrive à Madrid, et, par un mélange d’énergie, de sang-froid et d’habileté, arrache à Clavijo une déclaration peu honorable pour lui, mais destinée à garantir l’honneur de Mlle Caron. Bientôt l’Espagnol, effrayé de se voir en butte à l’inimitié d’un adversaire aussi résolu, sollicite une réconciliation avec sa fiancée. Le frère s’y prête, la réconciliation s’opère ; mais, au moment où Beaumarchais croit que le mariage va s’accomplir, il apprend que Clavijo travaille sourdement contre lui, et qu’en l’accusant d’un guet-apens, il a obtenu du gouvernement l’ordre de le faire arrêter et expulser de Madrid. Beaumarchais, irrité, court chez les ministres, parvient jusqu’au roi, se justifie et se venge de ce déloyal ennemi en le faisant destituer de sa place de garde des archives et chasser de la cour.

Tel est, réduit à sa plus simple expression, cet épisode que Beaumarchais a su revêtir des formes les plus dramatiques. En lisant son mémoire, écrit dix ans après l’événement, on est naturellement tenté de vérifier jusqu’à quel point il est exact. Dans une notice sur Clavijo[1], on accuse Beaumarchais d’avoir calomnié l’infidèle fiancé de sa sœur et tracé de lui un portrait hideux. Il se pourrait bien que, pour se rendre intéressant, Beaumarchais eût un peu chargé son adversaire[2] ; mais il y a exagération à dire qu’il en fait un portrait hideux, et de plus il est certain que les principales circonstances du récit publié en 1774 sont confirmées par la correspondance intime de 1764. Ainsi l’authenticité de cette première déclaration de Clavijo par laquelle il se reconnaît coupable d’avoir manqué sans prétexte et sans excuse à une promesse d’honneur, l’authenticité de cette déclaration, que sa conduite postérieure rend d’autant plus grave contre lui, est pleinement confirmée par les documens de famille. Elle donne lieu à la lettre suivante, écrite par le père Caron à son fils à Madrid, dans laquelle, sous le vieux horloger, on retrouve l’ancien dragon.


« Paris, 5 juin 1764.

« Que je ressens délicieusement, mon cher Beaumarchais, le bonheur d’être père d’un fils dont les actions couronnent si glorieusement la fin de ma car-

  1. Publiée par la Biographie universelle.
  2. Ce Joseph Clavijo, devenu plus tard un écrivain distingué, a eu le désagrément de vivre long-temps sous le coup de la réputation un peu noire que lui fit Beaumarchais, dix ans après une aventure qu’il avait probablement oubliée : il s’est vu de son vivant immolé en plein théâtre par Goethe comme un scélérat de mélodrame ; mais la scélératesse en amour ne nuit pas toujours à un homme, et celle de Clavijo ne l’a point empêché de faire son chemin à Madrid, où il a rédigé le Mercure historique et politique, traduit Buffon en espagnol, et où il est mort en 1806 vice-directeur du cabinet d’histoire naturelle.