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voir répondre efficacement ; mais on dit qu’ils m’objectent que mon père a été artiste, et que, quelque célèbre qu’on puisse être dans un art, cet état est incompatible avec les honneurs attachés à la grande-maîtrise.

« Ma réponse est de passer en revue la famille et l’état précédent de plusieurs des grands-maîtres, sur lesquels on m’a fourni des mémoires très fidèles.

« 1o M. d’Arbonnes, grand-maître d’Orléans et un de mes plus chauds antagonistes, s’appelle Hervé, et est fils d’Hervé, perruquier. Je puis citer dix personnes vivantes à qui cet Hervé a vendu et mis des perruques sur la tête ; ces messieurs répondent qu’Hervé était marchand de cheveux. Quelle distinction ! elle est ridicule dans le droit et fausse dans le fait, parce qu’on ne peut vendre des cheveux à Paris sans être reçu perruquier, ou l’on n’est qu’un vendeur furtif ; mais il était perruquier. Cependant Hervé d’Arbonnes a été reçu grand-maître sans opposition, quoiqu’il eût peut-être suivi dans sa jeunesse les erremens de son père pour le même état.

« 2o M. de Marizy, reçu grand-maître de Bourgogne depuis cinq ou six ans, s’appelle Legrand, et est fils de Legrand, apprêteur, cardeur de laine au faubourg Saint-Marceau, qui leva ensuite une petite boutique de couvertures près la foire Saint-Laurent, et y a gagné quelques biens. Son fils a épousé la fille de Lafontaine-Sellier, a pris le nom de Marizy et a été reçu grand-maître sans opposition.

« 3o M. Tellès, grand-maître de Châlons, est fils d’un Juif nommé Tellès Dacosta, d’abord bijoutier-brocanteur, et que MM. Paris ont ensuite porté à la fortune ; il a été reçu sans opposition, et ensuite exclu, dit-on, des assemblées, parce qu’il a été taxé de reprendre l’état de son père, ce que j’ignore.

« 4o M. Duvaucel, grand-maître de Paris, est fils d’un Duvaucel fils d’un boutonnier, ensuite garçon chez son frère établi dans la petite rue aux Fers, puis associé à son commerce, et enfin maître de la boutique. M. Duvaucel n’a rencontré nul obstacle à sa réception. »


Beaumarchais, on le voit, avait à lutter contre des aristocrates dont la généalogie n’était pas plus pompeuse que la sienne, mais qui, par cela même, ne s’en montraient que plus acharnés contre un candidat auquel ils ne pouvaient pardonner sa jeunesse, son avancement rapide, son esprit et ses succès de salons. Malgré ses efforts, malgré la protection de Mesdames et l’appui de Paris Du Verney, il ne put vaincre l’opposition déclarée des grands-maîtres ; le ministre se rangea de leur côté, et l’agrément du roi ne fut point accordé. Ce pénible échec, à l’entrée d’une carrière administrative qui pouvait être brillante, resta sur le cœur de Beaumarchais ; les obstacles qui naissaient de son humble origine se reproduisant sans cesse sur ses pas, il n’y a point lieu de s’étonner de la couleur démocratique et frondeuse que prit son talent jusqu’à la révolution. Cependant la véritable aristocratie lui fut moins hostile que ce patriciat de contrebande qui envahissait déjà tout dans les derniers temps de l’ancien régime. Ce qui prouve en effet que des antipathies personnelles furent l’unique motif de l’opposition des