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Semble exprès posé de travers
Par une puissance ennemie.
De là naît l’horreur des hivers,
Où toute la terre engourdie,
Sans fleurs, sans fruits, sans arbres verts,
N’offre la moitié de la vie
Que des champs de frimas couverts.
Sur ce seul exposé, je nie
Que tout soit bien dans l’univers…

Ces premiers essais de Beaumarchais n’annoncent pas un talent bien original. Sa vocation pour la poésie et les lettres ne paraît pas encore très prononcée. La nécessité de se pousser, de faire son chemin, d’avoir un carrosse et des revenus, lui semble plus urgente que celle de cultiver les muses. Sous ce rapport, il pense comme son patron Voltaire, qui dit quelque part : « J’avais vu tant de gens de lettres pauvres et méprisés, que j’en avais conclu dès long-temps que je ne devais pas en augmenter le nombre ; il faut être dans ce monde enclume ou marteau. J’étais né enclume… » On sait comment Voltaire devint marteau : un riche fournisseur, Paris Du Verney, lui procura un intérêt considérable dans les vivres de l’armée pendant la guerre de 1741. Les produits de cette première opération, placés dans le commerce et bien dirigés, finirent par donner au patriarche de Ferney 130,000 livres de rente. Il était écrit que le même homme qui avait enrichi Voltaire commencerait la fortune de Beaumarchais.


II. — BEAUMARCHAIS ET PARIS DU VERNEY. — LA GRANDE-MAÎTRISE DES EAUX ET FORÊTS. — BEAUMARCHAIS LIEUTENANT-GÉNÉRAL DES CHASSES.

Paris Du Verney était le troisième des quatre frères Paris, financiers célèbres au XVIIIe siècle, qui, de la condition la plus humble (ils étaient fils d’un aubergiste de Moras en Dauphiné), s’étaient élevés à une fortune éclatante. Le plus distingué des quatre frères Du Verney[1], pendant plus de cinquante ans, prit une part active à toutes les grandes affaires d’administration et de finances. Voltaire, qui avait ses raisons pour l’admirer, le cite parfois dans ses ouvrages comme un grand homme d’état. C’était un homme habile et influent, qui avait su se maintenir en crédit sous Mme de Prie comme sous Mme de Pompadour. « On sait que les Paris, écrit Mme de Tencin au duc de Richelieu en 1713, ne sont pas gens indifférens, ils ont beaucoup d’amis, tous les souterrains possibles et beaucoup d’argent à y répandre ; voyez après cela s’ils peuvent faire du bien et du mal. »

  1. Le plus riche était le quatrième, Paris Montmartel, banquier de la cour, qui laissa une immense fortune, dissipée par son fils, l’extravagant marquis de Brunoy.