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demanderait pas vengeance, Beaumarchais réclama la protection de Mesdames, qu’il instruisit de toutes les circonstances de ce malheureux événement. Elles en prévinrent le roi ; sa bonté paternelle lui fit répondre : Faites en sorte, mes enfans, qu’on ne m’en parle pas. Ces augustes princesses prirent toutes les précautions que la générosité du mort rendit inutiles. »


Le récit un peu orné de Gudin m’a fait éprouver le besoin d’une vérification, et j’ai trouvé le fait et la date de ce duel constatés de la main de Beaumarchais dans sa correspondance de cette époque, à propos d’un autre incident qui le suivit de près, et qui donnera mieux que je ne pourrais le faire une idée de l’arrogance de certains gentilshommes à l’égard de ce roturier considéré comme un intrus. Beaumarchais se trouvait, en 1763, à un bal à Versailles, où l’on jouait ; un homme de qualité, nommé M. de Sablières, lui emprunta, sans le connaître, trente-cinq louis. Au bout de trois semaines, Beaumarchais, n’entendant plus parler de ces trente-cinq louis, écrit au gentilhomme en question, lequel répond qu’il enverra les trente-cinq louis le lendemain ou le surlendemain. Trois autres semaines se passent ; Beaumarchais écrit une seconde fois : pas de réponse. Il s’impatiente et adresse à M. de Sablières la troisième lettre qui suit :


« Après que vous avez manqué à la parole écrite que j’ai reçue de vous, monsieur, J’aurais tort de m’étonner de ce que vous vous dispensez de répondre à ma dernière lettre : l’un est une suite naturelle de l’autre. Cet oubli de vous-même ne m’autorise pas sans doute à vous faire des reproches. Vous ne me devez aucune politesse ni aucun égard. N’ayant pas l’honneur d’être de vos amis, quel droit aurais-je d’en attendre de celui qui manque à des devoirs plus essentiels ? Cette lettre n’est donc faite que pour vous rappeler encore une fois une dette de trente-cinq louis que vous avez contractée envers moi chez un ami commun, sans autre titre exigé que l’honneur du débiteur, et ce qui était dû de part et d’autre à la maison qui nous rassemblait. Une autre considération qui n’est pas de moindre poids, c’est que l’argent que vous me devez ne vous a pas été enlevé par moi sur la chance d’une carte ; mais je vous l’ai prêté de ma poche, et me suis peut-être privé par là d’un avantage qu’il m’était permis d’espérer, si j’eusse voulu jouer au lieu de vous obliger.

« Si je ne suis pas assez heureux pour que cette lettre fasse sur vous l’effet qu’elle produirait sur moi à votre place, ne trouvez pas mauvais que je mette entre nous deux un tiers respectable, qui est le juge naturel de ces sortes de cas.

« J’attendrai votre réponse jusqu’après demain. Je suis bien aise que vous jugiez, par la modération de ma conduite, de la parfaite considération avec laquelle j’ai l’honneur d’être,

« Monsieur, votre, etc.

« De Beaumarchais. »
« 29 mars 1763. »


Voici maintenant la réponse de M. de Sablières, l’homme de qualité