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pourtant aux obsessions du roi par faiblesse d’ame. Enfin la crise finale arriva. Le jour vint où les malheurs de la guerre lassèrent et effrayèrent le peuple anglais et lui ouvrirent les yeux, le jour où lord North lui-même ne voulut plus aller en avant. C’était en 1782, un an seulement après que le duc de Richmond écrivait à lord Rockingham sa lettre la plus désespérée. Ce jour-là, les whigs revinrent au pouvoir, et lord Rockingham fut chargé de former un ministère ; George III était vaincu, son système était épuisé. Peu d’années après, sa politique personnelle allait se noyer dans le génie du jeune Pitt, du propre fils de ce lord Chatham qu’il avait si obstinément repoussé et tant haï. Lui-même, frappé d’un coup terrible, il fut obligé de disputer à la folie la dernière moitié de son long règne. Étrange et mystérieuse rencontre ! le seul roi de la maison de Hanovre qui ait voulu courber le régime représentatif d’Angleterre sous son gouvernement personnel devait mourir insensé !

Telle est, rapidement esquissée, cette page, la plus mauvaise de l’histoire du gouvernement représentatif en Angleterre. Les esprits bien faits en peuvent tirer plus d’une leçon. On y apprend à ne pas trop présumer des institutions libres, par conséquent aussi à ne pas se scandaliser de leurs vices et de leurs échecs et à ne pas désespérer de leur fortune. On y apprend que la liberté n’affranchit pas les peuples de cette loi humiliante qui lie le sort de millions d’hommes aux infimes accidens de l’existence de quelques individus : la liberté est suspendue à la goutte ou aux vapeurs de Chatham, comme le despotisme est attaché au grain de sable de Cromwell. On y apprend cette vérité, banale il est vrai dans l’histoire, mais toujours oubliée dans la politique active, que, lorsqu’un système est parvenu à s’emparer d’un pays, ce ne sont pas les efforts de ses adversaires, ce sont ses fautes qui le renversent. Enfin, en comparant les desseins des hommes qui jouèrent les rôles principaux dans la période que nous avons décrite aux impressions immédiates qu’ils recevaient des événemens dont la portée leur échappait, et au dénoûment que nous avons sur eux l’avantage de connaître, on apprend une fois de plus à se défier de l’égale illusion des espérances et des découragemens immodérés.


Eugène Forcade.