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LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF SOUS GEORGE III.

sue de la lutte, voulaient que l’Angleterre reconnût l’indépendance de l’Amérique : Chatham voulait avec une égale passion et que l’Amérique ne fût point asservie et que l’Amérique ne fût point séparée. Cette contradiction insoluble le tua. Il mourut comme il avait vécu, altier, passionné et solitaire dans sa conviction. Il se fit porter à la chambre des lords pour parler contre la motion du duc de Richmond en faveur de l’indépendance américaine : ses derniers balbutiemens, son évanouissement mortel et les dramatiques détails de cette scène héroïque sont dans toutes les histoires et dans tous les souvenirs.

Entre la tempétueuse persévérance de Chatham et l’étroite et froide opiniâtreté de George III, le trait le plus caractéristique des hommes éminens de cette époque, c’est le découragement. Depuis Washington, libérateur des États-Unis, jusqu’à lord North, instrument trop docile de George III, il n’y a pas un homme qui ne se soit arrêté dans sa tâche en désespérant de sa cause et de son temps. Trois ans seulement avant le triomphe de son pays, Washington laissait voir dans une lettre à un ami le triste jugement qu’il portait sur ses associés dans la lutte de l’indépendance : « Si j’avais à tracer une peinture des hommes et de l’époque d’après ce que j’ai vu, entendu et appris, je dirais d’un mot que la paresse, la dissipation et l’extravagance se sont emparées de tous ; que la spéculation, le péculat et une insatiable soif de richesses semblent l’emporter sur toute autre considération dans tous les rangs de la société ; que les disputes de parti et les querelles personnelles sont la grande affaire du jour. » Et après ces pénibles confidences, Washington, malgré l’admirable sérénité de son ame, exprimait parfois le regret d’avoir accepté la responsabilité du commandement supérieur, de ne s’être pas borné à servir comme simple soldat dans l’armée américaine. De 1770 à 1782, les désenchantemens des libéraux anglais ne furent pas moins amers. La correspondance du marquis de Rockingham fourmille de témoignages de ce genre. J’en citerai quelques-uns. En 1777, sir George Saville, un des esprits les plus nets et des plus purs caractères du parti whig, écrivait au marquis : « Nous ne sommes pas seulement des patriotes hors de place, mais des patriotes hors de l’opinion du public. Les succès répétés de la guerre, quelque creux que je les croie, et ils seront d’autant plus ruineux s’ils sont réels, ont fixé ou converti à la politique du gouvernement quatre-vingt-dix-neuf personnes sur cent. J’en suis sûr. Je suis également certain que tout ce que nous pourrons faire changera si peu l’état des esprits et des choses, que le choix d’une conduite est pour nous plus indifférent que jamais. L’impatience nous presse toujours de remuer quand nous souffrons, mais il n’y a pas de règle d’action plus fausse que de croire qu’il faut toujours faire quelque chose. Nous étions accoutumés à la consolation d’avoir au fond l’opinion publique pour