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LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF SOUS GEORGE III.

premiers temps, d’arriver jusqu’à lui, mais ils ne parvenaient point à rompre la claustration dans laquelle leur chef cachait son spleen. Le roi lui-même, ne pouvant obtenir que Chatham vînt le voir, le prévint qu’il irait personnellement lui rendre visite. Alors seulement, pour détourner cette menace, Chatham consentit à recevoir le duc de Grafton. « Quoique je m’attendisse, racontait le duc au sujet de cette entrevue, à trouver lord Chatham très malade en effet, sa situation était différente de celle que je m’étais imaginée. Ses nerfs et son moral étaient affectés à un degré effrayant, et la vue de ce grand esprit affaissé et ainsi affaibli m’aurait rempli de douleur lors même que je n’aurais pas éprouvé depuis long-temps un sincère attachement pour la personne et le caractère de lord Chatham. L’entrevue fut très pénible. » Lord Chatham demanda en grâce à ses collègues de rester au pouvoir et d’attendre son rétablissement. Le roi lui écrivit pour le tirer de cette sombre torpeur, en lui peignant les nécessités politiques du moment : « De tels objets auraient réveillé les grands hommes des anciens âges ; ils vous obligent à secouer les restes de votre indisposition. » Il répondit au roi par la main de lady Chatham : « Avec une santé si délabrée qu’elle me rend toute application d’esprit impossible, je me jette aux pieds de votre majesté, j’implore votre indulgence et votre compassion, et vous supplie de ne point exiger d’un serviteur dévoué et infortuné un travail qu’il ne pourrait, dans son état de faiblesse, rendre digne de la considération de votre majesté. » pour échapper plus sûrement aux obsessions, il se fit transporter dans sa maison de campagne à Hayes. Un contemporain décrit ainsi la vie intérieure de lord Chatham à cette époque : « C’est l’abattement de corps et d’esprit le plus complet. Il demeure toute la journée devant une table, la tête dans ses mains ; il ne permet à personne de rester dans sa chambre, frappe lorsqu’il veut quelque chose, et, après avoir dit ce dont il a besoin, renvoie d’un signe la personne qui a répondu à son appel. » Même quand le moral commençait à se rétablir en lui, si l’un des rares amis qu’il continuait à recevoir venait à faire allusion ta la politique, il tressaillait, tremblait de la tête aux pieds, fondait en larmes et coupait la conversation. La bizarre mélancolie de ce Nabuchodonosor parlementaire cessa vers la fin de 1768. Le premier usage qu’il fit de la santé fut d’envoyer au roi sa démission de premier ministre.

Voilà ce que fut le ministère pour lord Chatham. On va voir ce que fut le ministère formé par lord Chatham pour les affaires de l’Angleterre et la politique personnelle du roi. Certes, lord Chatham fut bien puni par les résultats de son œuvre des superbes dédains dont il avait accablé l’honnête administration du marquis de Rockingham. Les deux grandes questions dont lord Rockingham avait débarrassé l’Angleterre, — l’Amérique et Wilkes, — furent réveillées par les collègues que Pitt